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ÉDUCATION ET ÉCOLOGIE
Jean-Michel Bertrand observe de loin...
Avant le loup, c’est à l’aigle royal que vous avez consacré près de cinq années, comment avez-vous dirigé votre regard sur ces deux espèces ?
Quand j’étais gamin, dans ma vallée des Hautes-Alpes, l’aigle royal avait pratiquement disparu : en apercevoir un, c’était comme une sorte de Graal. La protection de l’espèce depuis 1975 a permis de reconstituer les effectifs. Cependant en partant à leur rencontre, mon but n’a jamais été de filmer des aigles à tout prix. Je voulais montrer ma démarche pour mieux connaître l’espèce, pour les observer sans les déranger. J’ai vécu cette première immersion comme une expérience magique, et l’aigle était déjà un prétexte pour montrer toute la vallée. Parallèlement, après la convention de Berne, les loups sont revenus en France par les Alpes et le massif du Mercantour, doucement, à partir de 1992. Chez moi, on ne parlait jamais du loup. Pourtant, j’habite à côté de vallées très sauvages, inhabitées et giboyeuses, très propices à l’installation du prédateur. J’ai fait le pari de trouver des loups. En suivant mon in- tuition, cette quête m’a emmené beaucoup plus loin. Le loup est un ambassadeur qui véhicule la pensée du sauvage, dans son amour comme sa détestation avec un impact terrible au niveau des mentalités, du sub- conscient humain.
Dans Marche avec les loups, pourquoi avez-vous dé- cidé de quitter votre vallée et suivre les mouvements de dispersion des jeunes loups ?
Sortir de ma vallée, c’était un prolongement logique, qui m’est venu tout naturellement. Pouvoir observer
la vie d’une meute dans La vallée des loups était en soi une superbe expérience, une quête initiatique pas- sionnante pour moi. Mais cette vallée reste très proté- gée. Il n’y a ni habitations, ni routes, ni élevage. C’est la nature comme on peut la rêver, mais de tels endroits sont très rares. Les loups sont également des animaux très territoriaux, qui ne restent pas tous sur un même lieu, car sinon ils seraient trop nombreux. Ils sont ainsi redoutables entre eux et capables d’autoréguler la population sur un territoire. Dans ce nouveau film, je voulais comprendre et expliquer le phénomène de dispersion et la formation de nouvelles meutes, ce qui questionne également le partage du territoire entre le loup et les humains, la place qu’on leur laisse.
Votre itinéraire vous guide vers le nord dans le massif du Jura, pourquoi avoir privilégié cette hypothèse ?
Encore une fois c’est très subjectif, presqu’instinctif. J’aurais pu aller vers le sud, aller dans le Massif cen- tral ou même les Pyrénées, mais j’ai préféré me diriger vers des zones où le loup n’était pas encore tout à fait implanté. Dans le Jura, je savais qu’on en avait déjà aperçu sporadiquement. Je voulais aussi traverser l’agglomération grenobloise avec toute cette urbanisa- tion alpine pour donner à comprendre les problèmes qu’elle pose aux loups. Comme je le raconte dans le film, je savais qu’un loup avait été percuté par une voiture quelques années auparavant sur la rocade de Grenoble, en pleine zone commerciale. Dès le début de mon aventure, j’avais choisi d’aller dans le Jura, car je savais l’hypothèse crédible, mais je ne pouvais pas imaginer que nous allions assister à la création d’une
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