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 Avec ces humanistes-là, l’homme se prend en charge. Il cherche à comprendre le monde en étu- diant le monde lui-même et non pas en interprétant des vérités révélées. Il cherche à se définir par sa propre réflexion. Il considère que les affaires de la cité doivent faire l’objet de débat ; c’est la naissance de l’espace public, selon Jürgen Habermas.
Pour autant, même s’il croit s’en être libéré, cet hu- manisme-là est encore directement importé d’une lecture de la Bible selon laquelle il existe une hié- rarchie parmi les êtres vivants, conforme au récit de la “Création”. Le règne végétal est en bas de cette pyramide, ensuite le règne animal, et enfin, l’homme qui tient une place à part, non seulement parce qu’il se situe au sommet, mais parce qu’il est le seul à posséder une âme. Il est donc d’une nature diffé- rente. Il a vocation à exploiter la nature à son propre profit ainsi qu’à croître et multiplier « ad libitum ».
Cet humanisme laisse en friche des zones d’ombres entières, qui vont apparaître au cours du XIXème siècle. Par exemple : les Droits de l’Homme de 1789 ne concernent pas les femmes ; Olympe de Gouges l’a payé de sa vie. Il ne concerne pas non plus les colonies. Les hommes naissent libres et égaux, mais seulement en principe. Il va craquer de par- tout cet humanisme vers la fin du XXème siècle, sous le coup de ses propres défaillances, écrasé par des impératifs économiques, contesté par des re- vendications multiculturalistes plus ou moins sin- cères. Il ne lui manquait plus qu’une attaque fron- tale. L’écologie va faire le job.
L’écologie raisonne en écosystèmes. Elle étudie les individus dans leurs communautés et les commu- nautés d’individus dans leurs relations avec leur environnement. L’écologie, c’est l’économie de la nature. Elle s’intéresse aux plantes, puis aux ani- maux. Quand elle arrive aux hommes et qu’elle ob- serve la manière dont ils gèrent leurs ressources, elle mesure le désastre : ils sont en train de mena- cer leurs conditions de vie sur Terre.
Il y a trois sortes d’écologie : l’écologie de la nature, l’écologie sociale (qui débouche sur l’écologie poli- tique) et l’écologie de la pensée.
2
DES CHOIX ÉNERGÉTIQUES À L’HUMANISME ÉCOLOGIQUE, RÉÉCRIVONS NOS RÉCITS FONDATEURS
2.2
« DU CÔTÉ DES HUMAINS »
Cette dernière débouche sur l’écosophie (selon Fé- lix Guattari), c’est à dire une philosophie de l’écolo- gie. Elle remet en question la place de l’homme dans la nature, telle qu’elle était définie par l’huma- nisme, considérant les dégâts qui en résultent. Dé- règlement climatique, effondrement du vivant, dis- parition de la biodiversité, désertification galopante, multiplication des catastrophes dites “naturelles”, réitération des menaces pandémiques. Elle inter- roge la responsabilité de l’homme dans cette situa- tion où le vivant est menacé parce que, contraire- ment à ce qu’il s’imaginait, l’homme n’y occupe pas une place à part, il n’est qu’un maillon et chacune de ses actions secoue toute la chaîne.
Elle pose une question que l’humanisme n’avait jamais envisagée : la fin possible de l’aventure humaine sur Terre.
Et si l’humanité disparaissait ? La pensée écolo- gique est une révolution copernicienne, elle intègre l’idée que l’homme n’est peut-être pas le centre du monde et que le monde ne tourne pas autour de lui. L’écologie invite à élargir le regard vers l’ensemble du vivant, à le décentrer. L’homme n’est pas l’alpha et l’oméga de la nature, elle peut vivre sans lui. S’il est aujourd’hui le problème majeur pour la préser- vation du vivant, il ne tient qu’à lui de devenir aussi la solution. Non pas en voulant tout contrôler, mais au contraire en lâchant prise, en laissant les pro- cessus naturels reprendre leurs droits, en dimi- nuant son emprise en apportant des solutions ré-équilibrantes, en menant des actions qui n’aillent pas seulement dans le sens de ce qu’il croit être son intérêt, à court terme.
Toutes ces questions étaient inconnues de l’huma- nisme traditionnel. Elles ouvrent vers de nouvelles connaissances : une nouvelle conception de l’homme et de la nature, une nouvelle gouvernance de la cité “Biosphère”, une nouvelle philosophie. Elle pourrait déboucher, si des Francs-Maçons s’at- telaient à la tâche, vers une nouvelle écosophie hu- maniste. Et la réponse à la question posée dans le titre deviendrait alors : oui.
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 Commission Nationale de Réflexion sur le Développement Durable (CNRDD) Mars 2021 - P69
2.2.5. Y’A-T-IL UN HUMANISME ÉCOLOGIQUE ?



















































































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