Page 35 - L'INFIRMIERE LIBERALE MAGAZINE _ NOUVELLE FORMULE
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«« Murielle m'annonce tout de suite son problème avec l'alcool. Il dure depuis plusieurs années. Cette Idel risque gros, car elle boit en journée et conduit. Elle voudrait s'en sortir. Je lui conseille de s’adresser aux Alcooliques ano- nymes d'une ville proche, pour ne pas rencontrer de patients, et d'en parler à son médecin. » Ce témoignage est celui d’une psy- chologue de la plateforme télé- phonique de l’association Soins aux professionnels de santé (SPS), mise en place fin 2016 pour venir en aide aux soignants libéraux.
« On commence par prendre un anxiolytique ou un stimulant pour être en forme le lendemain... »
Difficile, pour un sujet aussi sen- sible, de trouver des Idels accep- tant de s’exprimer. Il n’existe pas de données chiffrées relatives au nombre d’infirmières concernées par les addictions. Mais elles seraient un certain nombre à consommer alcool, somnifères, antidépresseurs, psychotropes ou encore anxiolytiques pour « tenir le coup », gérer la fatigue, l’agres- sivité des patients, éviter les arrêts de travail ou le burn-out. Un cercle vicieux lorsque l’on sait que l’épui- sement professionnel peut être à l’origine de leur consommation de drogues ou de médicaments. L’accès à ces derniers est d’ailleurs facilité en cas d’exercice en éta- blissement hospitalier même si la plus stricte traçabilité informa- tique mise en place dans les phar- macies rend le détournement de médicaments plus difficile (lire l’encadré p.29). Quant à l’alcool,
même si sa consommation est difficilement compatible avec l’exercice libéral, il n’est pas rare que des Idels en soient dépen- dantes. « Depuis le lancement de la plateforme SPS, 160 Idels ont appelé, et bien qu’elles invoquent d’autres motifs – épuisement, démotivation, volonté de chan- gement d’orientation profession- nelle, difficultés financières –, une dizaine a parlé d’une addiction à l’alcool », rapporte le Dr Éric Henry, médecin généraliste et président de SPS.
Les infirmières, qu’elles soient libérales ou salariées, sont plus que jamais concernées par la dépendance, cette incapacité à contrôler sa consommation mal- gré les conséquences néfastes sur l’état de santé, l’état psy- chique, la famille, etc. « Notre centre de soins de suite et de réadaptation en addictologie a ouvert en 1999 et nous avons en permanence des infirmières, indique le Dr Frédéric Pinton, psy- chiatre et addictologue à La Gan- dillonnerie, établissement privé à but non lucratif situé dans la Vienne. Leur nombre ne fait qu’augmenter. Il n’y a jamais eu de périodes sans infirmières ou aide-soignantes. Parfois, elles représentent jusqu’à 10 % de nos patients, soit sept personnes. Les infirmières exercent une profes- sion à risque et requièrent des soins tout à fait spécifiques. »
« Comme une réponse
à un malaise »
Certes, il est toujours possible de trouver un événement antérieur traumatisant pouvant expliquer pourquoi l’Idel devient dépen- dante à des substances. Mais généralement, le lien avec la pra- tique de son métier est avéré. En cause : le décalage entre la voca- tion à soigner les gens et la réalité. « Les Idels font des horaires invraisemblables, enchaînent les
dossier
kilomètres en voiture, font face à des contraintes administratives grandissantes, des patients de plus en plus exigeants et procé- duriers, énumère le Dr Pinton. Entre leur choix professionnel et le quotidien, le fossé est tel que la situation est très difficile à vivre. Elles ont besoin de soutien mais, en libéral, elles n’ont pas le temps de consulter un psychologue. Elles trouvent alors refuge dans les médicaments et l’alcool. » « En dehors des épisodes exception- nels, comme ceux des attentats par exemple, les gens pensent que vivre des cas de figure dou- loureux est normal lorsque l’on exerce de tels métiers, regrette le Dr Henry. Non, ce n’est pas nor- mal de voir des enfants et des personnes âgées malades ou mourir. Et pour peu que l’exercice de la profession perde du sens, cela conduit au burn-out, qui est souvent à l’origine de l’addiction. » De plus, avec la conjoncture actuelle de restructuration des soins, « nous avons transformé notre système bienveillant en système industriel, ajoute le Dr Henry. On demande aux libé- rales de travailler plus, pour moins cher. Les Idels se lèvent tôt, se couchent tard, travaillent lorsque leur famille est en train de dîner. Et certaines se le voient reprocher. L’injonction paradoxale est stres- sante. »
« Qu’elles soient étudiantes ou
en exercice, à force d’être confrontées à la douleur, la mala-
die et la fin de vie, les profes- sionnelles du soin subissent un impact émotionnel important, considère Fanny Male, adjointe
du directeur au Centre de forma-
tion continue de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-
HP). Ces métiers ne sont pas neu-
tres. Il faut accompagner les gens
dans la gestion des émotions car, souvent, les substances psy- choactives peuvent être pensées >>>
ensavoir +
Un nouveau portail
Fin novembre,
la Mission interministérielle
de lutte contre les drogues et les conduites addictives et le fonds Action addictions ont lancé un nouveau portail sur les conduites addictives dans le monde du travail. S'il semble surtout concerner le secteur de l'entreprise,
ce site peut aider
le plus grand nombre en proposant des annuaires, des outils d'évaluation
et des informations actualisées et spécifiques. www.addictaide.fr/travail
L’infirmière libérale magazine • n° 342 • Décembre 2017 27