Page 3 - MOBILITES MAGAZINE N°21
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                 Editorial
La transition verte rit jaune
Soulagement le 18 novembre dans les rédactions parisiennes, et sans doute dans quelques ministères. Le mouvement dit des gilets jaunes n’a pas totalement paralysé la France, n’a mobilisé « que » 300 000 personnes - selon les chiffres officiels - et a été émaillé de suffisamment d’incidents - dramatiques parfois - pour qu’il puisse être subtilement discrédité. Pour autant, les faits et chiffres mis en avant ne tiennent évidemment pas compte du soutien populaire massif, qui se révèle lui dans les sondages. Au fond, que cette journée de contestation ait été un succès ou un échec n’a pas d’importance. N’en déplaise à certains commentateurs*, les Français n’ont pas besoin d’assaut de pédagogie pour comprendre que le système dont on leur vante
les mérites depuis des décennies arrive écologiquement au bout. Ce qu’ils semblent récuser avec vigueur, c’est sans doute plus la forme « discriminatoire » qui est aujourd’hui donnée à cette transition. Et claironner un « je vous ai compris » avec brio n’est pas donné à qui veut.
Résumer ce tournant de notre société à une simple augmentation de taxes logotées écologiques apparait en effet un peu court aux yeux des 40% de nos concitoyens reconnus comme vivant sans aucune alternative de transport collectif. D’autant que ces mêmes Français ont la mémoire longue en matière fiscale, et que beaucoup se souviennent de la fameuse vignette automobile sensée aider les plus âgés... Ces mêmes citoyens supportent aussi assez mal d’être injustement culpabilisés comme utilisateurs d’une motorisation Diesel, diabolisée du jour au lendemain sur la foi de rapports pas toujours aussi fiables qu’on le dit. Outre le fait qu’ils n’aient souvent pas les ressources nécessaires pour changer de voiture, le retournement de situation qu’ils vivent désormais avec la « fée gazole » les rend d’autant plus méfiants à l’égard de la « fée électrique » qui semble devoir leur être imposée de force.
On aura aussi du mal à leur faire admettre la pertinence des « nouvelles mobilités » ou des mobilités dites douces à la lumière de leur quotidien. Si vélo, trottinette, autopartage ou covoiturage sont sans doute des solutions alternatives adaptées aux besoins de certains urbains, les esprits éclairés - et de bonne foi - reconnaissent logiquement leur manque de pertinence en zone rurale, voire même périurbaine.
Avant de convaincre cette France périphérique de lâcher son automobile (symbole, rappelons-le, de mobilité, de réussite sociale et de liberté individuelle, trois « valeurs » par ailleurs vantées en permanence dans notre société libérale...), il va falloir leur proposer des alternatives concrètes et sérieuses. En somme, mettre bêtement les bœufs avant la charrue.
*Scène de la vie télévisuelle vue sur une chaîne d’information continue le 16 novembre. Après 30 minutes de commentaires divers et variés sur les forces et fai- blesses supposées du mouvement dit des gilets jaunes, l’animateur interroge innocemment les six « experts » présents sur leur usage de l’automobile. Silence gêné de l’assemblée, entièrement parisienne. Un seul d’entre eux possédait une voiture, une « vieille » Twingo « peu utilisée »... CQFD.
   PIERRE COSSARD / Directeur de la publication
MOBILITÉS MAGAZINE 21 - DÉCEMBRE - 3
      
























































































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