Page 90 - Nourrir ses plaisirs
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 EXERCICE :
Le goûter
EN POSITION ALLONGÉE, INSTALLÉ CONFORTABLEMENT. LES YEUX FERMÉS,
JE ME DÉTENDS.
« Dés que le repas était fini, ce repas de midi que dans le Sud nous appelons dîner, avant même de débarrasser, ma mère pré- parait mon goûter.
Le goûter est la manne sucrée de l’en- fance, une dérogation aux lois qui régissent la table familiale.
Il se déroule d’ailleurs sans table, loin des regards adultes le plus souvent.
Il tombe du ciel dans la cour de l’école, sur les plages de l’été, au bord des rivières, dans les prés, dans un coin de la maison chaude au cœur de l’hiver. Il a un goût de jeu.
Qu’il se compose de pain beurré ou confituré, de biscuits fourrés, de barres di- verses, sa saveur est enfermée dans une bulle de verre transparente et inaccessible. Il est par essence in-retrouvable.
J’emportais mon quatre-heures dans un sac de papier brun décoré d’une coupe
de fruits. D’habitude, il s’agissait de pain et d’une bille de chocolat. Dans ces cas là, je n’y touchais pas avant l’heure. Mais quand le pain était accompagné d’une bouchée, d’un « rocher », la gourmandise me la faisait gri- gnoter, miette par miette, sur le chemin de l’école. Si j’avais faim je la mangeais, sinon je le cachais dans mon cartable.
Dans la cour de l’école, ce repas supplé- mentaire, se tressait aux parties de balles, de corde, d’osselets ou aux conversations secrètes entre amies. Pendant le jeu, la langue explorait l’ivoire des dents, les creux des molaires où demeuraient des par- celles de chocolat, les gencives au-dessus des dents de devant qui conservaient des miettes de pain ou des granules de sucre ou le sucre semoule dont on avait saupoudré le beurre. D’avoir molli entre muqueuse et muqueuse, mie, croûte et sucreries avaient un goût différent.
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