Page 10 - E-Book L'Ouï-Lire
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- Rendez-vous compte !
- Il a raison, ce serait un juste retour des choses.
- Non, nous ne pouvons pas !
- Mais il est là, à nos pieds, et je sens les effluves de son inspiration me chatouiller.
Ethan pose lentement son roman par terre, parmi les autres qui l'entourent. Il ne rêve pas, ce sont bien les livres qui parlent. Qui se parlent entre eux. Mais il n'est pas sûr de vouloir saisir le sens de leur bavardage. Est-ce de lui qu'ils causent ? Et est-ce qu'ils envisagent bien de le manger ? Un tressaillement de terreur le traverse soudain, mais il se ressaisit aussitôt. Les livres ne parlent pas, sauf quand on ouvre leurs pages. Ce n'est que son imagination qui lui joue des tours.
Pourtant, derrière lui, le brouhaha se fait plus insistant, plus prégnant. - Miam ! Oh oui, cet imaginaire qu'il recèle...
- Mes lecteurs pourraient s'évader encore plus loin !
- Leurs songes se transformeraient en savoir.
Même la libraire, accroupie derrière une table, se relève et le regarde en fronçant les sourcils. Il lui rend son œillade en haussant les épaules, l'air de dire qu'il n'y est pour rien. Il n'a pourtant pas le temps de dire un mot que la bibliothèque, dans son dos, émet un craquement sourd.
Lorsque Ethan se retourne, les livres – des centaines – sont au bord des étagères, frémissant, grondant, tressaillant. Et il comprend ce qu'il va se passer. Alors, il les embrasse du regard une dernière fois, sourit et ouvre les bras.
La libraire dira plus tard – quand les pompiers la sortiront des décombres du tremblement de terre qui a ravagé la ville – que les murs se sont mis à trembler, que le sol a bougé, qu'elle a cru que sa vitrine – derrière laquelle le trottoir s'est fendu sous la secousse – allait exploser et qu'elle s'est précipitée sous la table. Elle dira aussi que Ethan a essayé de se protéger des livres qui lui tombaient dessus, mais en fait, il les accueille, parce qu'il sait que ce n'est qu'un juste retour des choses.
Il les voit se jeter sur lui, toutes pages ouvertes, comme autant de bouches affamées et avides, et n'a le temps que de se demander ce qu'on retrouvera de lui, avant d'être englouti.
Chrysostome Gourio