Page 20 - Rebelle-Santé n° 201
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la chronique de pinar
Quand j’ai interviewé Richard, après le débat sur « l’annonce de la maladie », il était certes fatigué, mais il semblait heureux du travail accompli, du chemin qu’il avait pris. Et je me demandais bien ce qui avait pu l’amener à tout ça, à 60 ans, lui qui n’est pas soignant... Une maladie l’y avait-elle conduit ? Quelles pouvaient donc être ses motivations ?
une prise de conscience
« Je suis toujours à la recherche de quelque chose qui a un sens. Un vrai engagement pour ce monde », explique Richard. De 1990 à 2013, dans son entreprise d’informa- tique, il travaillait avec des labora- toires et des hôpitaux. Il a ainsi été témoin de leur mode de travail et de leur fonctionnement. « J’ai vu toute l’évolution de la biologie et j’ai suivi comment elle s’est auto- matisée à partir des années 1990, comment les pratiques médicales ont changé. Les examens cliniques, et le temps de la réflexion ont été remplacés par des protocoles très rigides. Maintenant, on dit qu’on a bien travaillé quand on coche toutes les cases des procédures. Mais on ne voit plus ou pas assez les patients. On n’est plus soignant, mais technicien du laboratoire... » Selon lui, les lois qui ont autorisé
la concentration des laboratoires dans les mains des groupes finan- ciers ont tout changé : « Aupara- vant, les analyses étaient réalisées dans les laboratoires, maintenant il n’y a que les prises de sang... Les biologistes qui étaient, avant, des professionnels libéraux ou proprié- taires des laboratoires, sont deve- nus les salariés de grosses sociétés, c’est du travail d’usine. »
Ses observations sur le monde de la santé s’ajoutent à une expérience fondatrice pour son engagement d’aujourd’hui : sa vie a été bous- culée quand la guerre de Bosnie a éclaté en 1992. Eh oui, il appartient à une génération après guerre qui croyait que c’en était fini de l’hor- reur. Mais non. Quand il a compris qu’au milieu de l’Europe, avait lieu une véritable épuration ethnique, il a décidé d’y aller. En premier lieu, il s’est engagé, à Timisoara, dans une action de soutien aux orphe- linats. Il a alors découvert que les enfants de ces orphelinats n’étaient pas sans parents, mais avaient été abandonnés par des parents sub- mergés par la misère. Ils vivaient entassés dans ces orphelinats, dans l’odeur terrible de l’urine. Richard est alors rentré en France et a cher- ché une porte d’entrée en Bosnie. À Nice, il est tombé sur une as- sociation très investie dans l’aide aux populations confrontées à la
guerre. Richard a pu alors mesurer la complexité de la situation dans les Balkans, mais surtout l’horreur qu’elle a engendrée : il a rencon- tré de nombreux jeunes hommes mutilés et des femmes violées, des femmes réfugiées rescapées des massacres de Srebrenica...
Après cette confrontation avec la guerre, il a, plus que jamais, pris conscience de l’importance de prendre soin de l’autre, et que cela ne concernait pas seulement les médecins ou les soins médicaux, mais que c’était l’affaire de toutes et tous, ensemble. Concrètement, il a mis en pratique ce que lui dic- tait sa conscience, s’investissant dans des missions humanitaires avec l’Organisation pour la Sécuri- té et la Coopération en Europe, en s’engageant aux côtés des Palesti- niens.
Pour lui, être heureux est intime- ment lié au contexte dans lequel on vit. Entouré de personnes qui souffrent, nous ne pouvons pas fermer les yeux, oublier et jouer « les heureux ». Pour baigner dans le bonheur, nous sommes donc obli- gés de prendre soin des autres avec qui nous partageons ce monde. Merci Richard. Le monde est déjà meilleur avec toi.
Pınar Selek
conférence-débat organisée par la Maison de la Médecine et de la culture
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