Page 46 - Rebelle-Santé n° 222

CULTURE ET SOCIÉTÉ
À LIRE
Catalogue, sous la direction d’Éric Necker et Karine Vieille - coordination éditoriale d’Anne Cousseau - conseillère scientifique Joanna Pavleski-Malingre. Éditions Silvana - 208 pages - 22 €.
Par la suite, dans la seconde moitié du XXe siècle, Mélusine devient une icône féministe. Il faut lire le ro- man Possession de la britannique Antonia Suzan Byatt (1990). Dans une construction imbriquée et inspirée par Le Nom de la rose d’Umberto Eco, l’écrivaine mène l’enquête pour mettre au jour toute la construc- tion des mythes féminins à l’ère victorienne, révélant de Mélusine la femme libre et émancipée.
Plus récemment, l’écrivaine féministe Chantal Chawaf, sous son nom de jeune fille Marie de Montluel, ima- gine sa Mélusine en nouvelle apôtre de l’écologie. Dans Mélusine des détritus (2002), la fée solitaire se révolte dans une France postindustrielle, asphyxiée par la pollution.
Peut-on reconnaître dans Greta Thunberg, la réincar- nation de Mélusine à l’époque contemporaine ?
Lucie Servin
MÉLUSINE À LA LUMIÈRE DU CADUCÉE
Le corps fantastique de Mélusine, la femme-serpent, systématiquement asso- ciée à l’eau, interroge. Il peut d’ailleurs tout autant évoquer la figure antique d’Échidna, la déesse vipère, citée par Hésiode, associée à l’eau, ou se rappor-
ter à des figures populaires, comme la « vouivre » dont le nom vient également du latin signifiant vi- père, une divinité qui hantait les rivières. Mélusine comme le serpent sont ainsi associés à l’eau, cette matière primordiale de toutes les métamorphoses et de la régénération. Chez les Grecs, le serpent est une des formes de Dionysos. Au panthéon égyptien, il est lié à la figure d’Isis-serpent, mère universelle, symbole de fécondité et d’harmonie, voilà pourquoi il est allié des femmes. Bien sûr, le serpent dans la Bible incarne la tentation d’Ève, et la valeur négative du mal universel s’inscrit durablement dans la tradi- tion chrétienne et patriarcale associée à la connota- tion sexuelle d’un animal symbole de débauche. Les sirènes bifides qui ornent les chapiteaux des églises romanes peuvent se lire comme des symboles de volupté et de luxure. Ce serait pourtant ignorer la richesse et l’ambiguïté d’un symbole puissant qui remonte à la nuit des temps, depuis les cultures an- tiques et même au-delà.
Le serpent du caducée véhicule toute cette ambi- guïté, car le serpent est médecine, c’est-à-dire à la fois poison et médicament, un pouvoir ni bon, ni mauvais, que l’initié doit apprendre à canaliser. Dans les médecines du monde entier, le serpent sert de remède et conserve son rôle purificateur. L’ouro- boros, le serpent qui se mord la queue, fait partie de ces symboles universels. Il réunit la vie et la mort dans le cycle éternel. De quoi réviser tous les procès symboliques intentés contre Mélusine.
MÉLUSINE, UNE EXPOSITION POUR LES ENFANTS À L’HISTORIAL DE LA VENDÉE
L’Historial de la Vendée présente jusqu’au 1er mars 2020 une exposition intitulée « Mélusine, secrets d’une fée », où plus de 120 œuvres sont présen- tées : des manuscrits, des bijoux, des gravures, des sculptures, des films et des costumes pour évoquer le mythe de Mélusine, disséquer la figure de la fée serpente et interroger l’héritage et les évolutions de cette star poitevine. Idéale pour les enfants, toute la scénographie a été pensée pour eux, quitte à verser parfois dans le cliché du merveilleux. Un film d’animation très bien fait à partir des enlu- minures médiévales retrace la légende de Mélu- sine sur un écran géant à l’entrée, puis l’itinéraire déambule autour de cinq thématiques comme des facettes mélusiennes, tour à tour créature hybride, fée amoureuse, inspiratrice, mère et bâtisseuse. On peut toutefois regretter l’orgie de dispositifs interac- tifs et audiovisuels et la vitrine qui célèbre l’égé- rie publicitaire, rapprochant la bien nommée bière locale « la Mélusine » de la sirène symbole du Star- buck, dont on espère que l’enseigne aura financé une partie du dispositif. Dans l’air du temps, les gamins adoreront, les parents pourront néanmoins apprécier la qualité des nombreuses œuvres pré- sentées et faire une pause dans le coin bibliothèque où les livres sont mis à disposition et les manuscrits numérisés. Le catalogue coordonné par Johanna Pavlevski-Malingre, spécialiste de Mélusine, très complet et lisible sur la complexité du mythe, per- met de prolonger encore la visite.
• Mélusine,
secrets d’une fée, jusqu’au 1er mars 2020
à l’Historial de la Vendée, Les Lucs-sur-Boulogne (85) sitesculturels.vendee.fr
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