Page 25 - Demo livret 8
P. 25
K comme MIRAGE
Jusque dans les années 1990 les images de Königsberg étaient quasiment inaccessibles à Kaliningrad, leur possession faisait même à certaines périodes l’objet de poursuites. La présence fantomatique de la vie passée sature désormais l’espace urbain du Kaliningrad moderne. Les photographies de Königsberg d’avant-guerre sont omniprésentes dans les cafés, elles décorent aussi bien les abribus que les intérieurs des appartements privés, elles saluent les voyageurs à l’aéroport (cahier 1 | 11, 12, 16-27).
Dans cette nostalgie paradoxale du non-vécu, l’envoûtement par l’image d’une ville rêvée est immanquablement mêlé de l’amertume de sa perte. « Königsberg en 144 vues », publié en Allemagne pour la première fois en 1955, a été le premier livre à révéler la ville d’avant-guerre aux habitants du Kaliningrad soviétique. Via les pages de ce livre, les nou- veaux venus ont hérité en quelque sorte de cette nostalgie. Arrivé à Kaliningrad dans les années 1960, il a circulé clandestinement dans des cercles d’amateurs, ses pages ont été rephotographiées et développées dans des labos photo domestiques. Les descriptions en allemand accompagnant les images ont été soigneusement traduites en russe et retapées à la machine à écrire. « Königsberg en 144 vues » était devenu une bible.
Dans la logique de ce premier discours, le terrain vague est un lieu de mémoire, mais aussi de deuil, un cimetière. La trace photographique de la ville qui a péri y a une valeur plus que documentaire, celle du souvenir d’un être aimé disparu. Ainsi le leitmotiv de ce discours aujourd’hui se traduit couramment par la visualisation de cette perte à travers la juxtaposition des images avant/après, qu’on trouve dans des livres autoédités, sur les réseaux sociaux, mais également dans l’environnement urbain, lorsque les images d’avant- guerre avoisinent les vues de mêmes sites aujourd’hui (cahier 1 | 55).
25