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K comme POMPÉI
Cette pratique du pillage à but lucratif évolue chez certains vers une pratique consciente de la collection. Les collections privées dans la région sont très nombreuses : on exagére- rait à peine en disant qu’il y a un musée dans chaque village. Un musée domestique, une collection exposée dans la grange, dans le jardin, au grenier, sur le rebord de la fenêtre... Ces musées créés de toute pièce abritent des pratiques de collection et de conservation tout à fait atypiques et remarquables. Sans aucun soutien d’autorités locales, dans la plupart des cas ces lieux existent uniquement grâce à l’initiative de certaines personnes et devien- nent des points de résistance à la disparition de l’héritage, qui préservent la mémoire du territoire en recueillant des petites preuves de la vie passée.
La futilité des efforts de préservation de grandes formes – architecture, infrastructure, paysage – oriente les collectionneurs vers le ramassage de toute sorte de bouts, d’éclats et de fragments. Lorsque la collection est thématique, l’objet présente rarement une valeur en soi : on collectionne des briques, des plaques d’égouts, des pièces de carrelage, des bouchons de bière en céramique, des services à café, des conserves trouvées intactes dans les caves des maisons allemandes. L’objet le plus populaire est la petite bouteille en verre – boutylotchka – trouvée en nombre aux endroits d’anciennes décharges de Königs- berg. Quelques pièces sur le frigo ou sur le rebord de fenêtre, sinon des étagères entières remplies de petites bouteilles et flacons en verre multicolore décorent les appartements et les bureaux (cahier 4 | 20, 21).
Les déchets ont alimenté l’archéologie depuis la nuit des temps. À Kaliningrad les déchets de la vie d’avant-guerre ont acquis une valeur archéologique avant l’heure. Les enthousiastes passionnés se dévouent pour préserver ces vestiges matériels de quelque chose dont ils n’ont pas été témoins. La passion de collecter toute sorte de petites choses qui n’ont d’autre valeur que d’avoir appartenu au monde « d’avant » relève d’une nécessité : un besoin vital de recréer une continuité historique là où elle a été brutalement interrompue. On cherche à établir la succession à travers des restes matériels, une trace, un objet-témoin, une relique.
Au fil des pages du quatrième cahier on observe l’évolution des pratiques où, à partir de petites trouvailles qui tiennent dans une main, on arrive aux projets qui œuvrent dans le paysage. La conservation symbolique du passé à travers l’objet-relique se poursuit avec
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