Page 71 - Demo livret 8
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→ Lors du doctorat, la question du document, puis au sens large de la « chose trouvée », a pris une place importante dans mon travail. Il est possible que je m’appuie sur ces trou- vailles, issues ou prélevées du réel, dans le souci de pointer le caractère non-arbitraire de mes propres images et de mes propos. Les mots et les images que je recueille ont aussi le statut de preuves. L’idée d’un prélèvement, avec sa connotation scientifique ou médicale, me vient lorsque je m’aperçois que je traite de la même façon les images 2D et les objets tridimensionnels (je pense à Altstadt, par exemple, pièce que j’ai réalisée en résidence à Hambourg en 2014, constituée de galets briques que j’ai ramassés au bord de l’Elbe, ves- tiges des maisons côtières détruites par les bombardements) : la chasse aux spécimens qui prouverait un phénomène.
Pour cette exposition j’ai dû renoncer à l’idée de pièces originales, d’abord par néces- sité – il m’aurait été impossible d’amener les originaux à Paris depuis Kaliningrad – puis, je me suis prêtée au jeu et j’ai pensé le projet différemment. K est une exposition polychrome, constituée majoritairement de sources secondaires, tertiaires, perdues, et de formes de re- production variées.
Cet aspect du projet se marie difficilement avec la notion de preuve que j’ai évoquée auparavant, toutefois je ne trouve pas cela contradictoire. Avec la structure en 7 chapitres, tout en parlant de réalités, la recherche confond volontairement la notion de réalité avec sa perception. Là où les deux se conjuguent, c’est dans l’impact que ces perceptions ont sur le paysage réel.
Les gens perçoivent ce territoire ainsi. Cette réalité est sous-jacente, rarement nom- mée, ou décrite, ce qui induit un type particulier de « preuves ». Il s’agit plutôt de qualités propres aux images (ou mots), d’ordre esthétique, qui trahissent un certain rapport au lieu, et une sensibilité particulière dans leur franchise et leur ingénuité. Les images parlent pour elles-mêmes, souvent malgré les intentions premières de l’auteur. Par exemple, la photog- raphie d’une route pavée de briques rouges broyées (page 17) n’est qu’utilitaire dans son contexte d’origine : elle illustre une annonce de vente de briques recyclées sur internet. Pourtant, lorsque cette image est sortie de son contexte routinier, sa charge dramatique s’épanouit et la rend paysage.
J’ai connu auparavant et j’ai travaillé avec cette attirance pour l’objet trouvé, quelque chose que je n’avais pas produit mais que j’ai observé, aperçu, trouvé, ramassé... J’ai retrouvé ce goût, cet émerveillement presque, face à ces images, englouties dans un flux d’informations visuelles, que je puisais çà et là. Lorsque je me suis constitué une certaine connaissance et une compréhension du contexte, je me suis autorisée à entreprendre le montage, à composer des narrations en réorganisant les éléments entre eux, en les re- groupant et en les juxtaposant, pour produire de nouveaux sens.
En conclusion, résumant à la fois mes réussites et mes échecs, je peux dire que K, ce texte, cette édition et cette exposition avec quelques centaines d’images et des dizaines d’heures de film que j’ai aussi produites pendant ces quatre années de doctorat et que j’ai dû laisser de côté dans les marges de cette thèse, est peut-être aussi le prémisse d’un scénario de film.
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