Page 82 - Demo livret 8
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→ Suie, 2014 – en cours
Documentation photographique des marques laissées par les cigarettes,
régulièrement écrasées sur les murs dans les espaces publics. Impression jet d’encre à l’échelle 1:1 sur du papier dos bleu.
Suie est le titre de la série que je poursuis depuis 2014.
Par le biais de la photographie, je fixe les dessins trouvés, produits par l’écrasement de cig- arettes aux murs. L’accumulation des traces de ce geste quotidien marque spontanément l’espace public, routinier comme une habitude ou incontrôlable comme un tic.
Dans le contexte du projet (urbain), ce type de traces de la présence humaine est assimilé à une déviation, de telles marques indésirables n’ayant généralement pas d’autre effet que de signaler la dégradation ou l’usure. Ce travail consiste dans un premier temps en un repérage de ces formes – marginales, niées – pour les recontextualiser ensuite dans l’es- pace d’exposition et leur donner du sens. La persistance de ce geste révèle une écriture, naturelle, primaire, et en même temps délicatement subversive.
La documentation de ces marques se poursuit avec la reproduction : je réalise les tirages sur du papier dos bleu à l’échelle 1:1, ils sont ensuite disposés au mur en respectant la hauteur d’origine du fragment photographié. Cette hauteur correspond naturellement au niveau de la main. Ainsi je laisse le geste migrer et s’introduire dans l’espace d’exposition. L’absence de cadre, l’épaisseur minimale du support qui permet la fusion des deux surfac- es (le mur récepteur et l’image) et le coté éphémère des tirages nous disent que nous ne sommes pas en présence d’un objet, mais d’une observation. Celle-ci circule désormais librement et émerge ponctuellement au sein d’un autre espace.
Il n’y a pas si longtemps la suie était surnommée “maladie des mégalopoles”. Recouvrant discrètement toutes les surfaces accessibles, elle teintait des villes entières en noir. En donnant ce titre à la série, j’ai imaginé ces taches solitaires, éparpillées dans l’espace ur- bain, comme faisant partie d’un seul et même tissu, résultat d’un même phénomène qui se manifeste à un endroit ou un autre. La matérialité de la suie témoigne de l’histoire. Cette capacité d’impression directe, de fixation du temps dans la matière, la rapproche de la photographie : la surface y est réceptive.
Ces dessins trouvés sont le résultat de l’interaction permanente du corps et de la surface, l’effet d’une multitude de touchers. Tels des surfaces (photo-)sensibles, les murs absorbent et préservent les traces de l’action collective : perturber le monochrome du mur, avec le désir assumé ou inconscient de marquer le paysage.
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