Page 10 - Demo
P. 10
Nietzsche rencontre alors un ermite, voûté, qui cherche
des racines dans la forêt, et qui prie du matin au soir.
Le vieil homme s’étonne de voir Nietzsche aussi ragaillardi, lui qui l’a vu grimper en haut de la montagne le cœur lourd. Il s’en amuse et lui demande :
«Pourquoi avances-tu comme un danseur? Pourquoi es-tu si léger ?
— Parce que j’ai retrouvé le sens de la terre et que je vais retrouver les hommes, répond Nietzsche gaiement.» L’ermite hausse les épaules. Retrouver les hommes! Peuh!
« Reste plutôt dans la forêt, lui conseille-t-il. Ici la cime des arbres touche le ciel et Dieu. Ne t’occupe pas des hommes. Ils ne le méritent pas.»
Et il prend un air plein de mépris pour le monde...
«Quelle drôle d’idée! répond Nietzsche. Comment peux-tu te détourner de la terre et des hommes? Comment peux-tu croire en un au-delà qui te détourne de l’ici-bas? Comment peux-tu mépriser le monde, et penser qu’au-dessus du monde, il y a un arrière-monde, comme une arrière-cuisine ou une arrière-boutique, et que cet au-delà est beaucoup mieux que l’ici-bas ? Moi, je connais la beauté du monde
et je veux la dire aux hommes, pour qu’ils ouvrent les yeux à leur tour.»
Et Nietzsche poursuit son chemin en riant sous sa moustache. Tout de même, dire qu’il reste sur terre des inventeurs de dieux! Cet ermite n’est-il donc pas au courant que Dieu est mort?
10