Page 5 - MOBILITES MAGAZINE N°38

Editorial
La théorie du ruissellement fonctionne !
La crise sanitaire qui frappe de plein fouet le bel ordonnancement de notre société aura au moins démontré la validité d’une théorie chère au « nouveau monde », celle du ruissellement. Certes, elle ne s’est pas vérifiée dans le secteur promis, mais dans un domaine où on ne l’attendait guère : celui de la responsabilité. Dans certaines
sphères, il n’est jamais bon pour l’ego de reconnaitre ses erreurs, fussent-elles pardonnables, il est de coutume de déporter cette responsabilité sur « l’autre ». La langue française a d’ailleurs ceci de remarquable qu’elle dispose d’une grande richesse de possibilités pour exprimer cet état de fait : « refiler le bébé », « renvoyer la patate chaude », « passer à son voisin », etc. D’aucuns diraient, contexte
oblige : « s’en laver les mains », ou encore « noyer le poisson ».
La période de déconfinement qui s’est ouverte le 11 mai dernier, après deux mois de paralysie générale et infantilisante, a démontré de la façon la plus claire la puissance de cette fameuse théorie du ruissellement. L’exécutif, pris la main dans le sac de l’impréparation face à la crise (visiblement, les rapports alarmistes contribuent toujours à caler les armoires...), s’est, pour le retour à la normale, déchargé sur son administration, voire sur « ses » administrations, tant la redondance est clairement la norme à tous les niveaux de la bureaucratie française. Il s’agissait donc de « responsabiliser » ceux qui devaient retourner au front. Dès lors, d’un cabinet à l’autre, d’une agence ou d’un comité à l’autre, ont été produits, parfois avec une certaine hâte, mais toujours avec le sens du détail, une foultitude de protocoles
« sanitaires » qui sont venus s’ajouter avec bonheur aux quelque 400 000 normes qui régissent déjà nos vies. La responsabilité, quelle qu’elle soit, dégoulinait ainsi du château vers « ceux qui ne sont rien », non sans s’être au passage diluée dans les méandres de l’administration. Le tour semblait joué. Attention toutefois, la ficelle est un peu grosse, et les petits ruissellements forment parfois de grandes rivières qui peuvent tout emporter sur leur passage...
PIERRE COSSARD / Directeur de la publication
MOBILITÉS MAGAZINE 38 - JUIN 2020 - 5