Page 34 - AQMAT Magazine Printemps 2022
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  À 25 ans, je travaillais chez Sherbrooke Pipe Drainage (SPD). C’était le même produit que chez
Soleno. On était compétiteurs, la famille Lazure et ma famille, les Poirier. Mais la sagesse a fait son œuvre : les propriétaires de Soleno, les frères Lazure, sont dans la cinquantaine ; nous, les cinq frères Poirier, on est dans la vingtaine. Alors un jour, les frères Lazure cognent à la porte du siège social de la famille Poirier et nous pro- posent d’unir nos forces.
Moi j’étais un opérateur de machinerie lourde, je n’étais pas un administrateur. Des études, honnêtement, je n’en ai pas beaucoup. Mais parce que j’avais fait trois ans à SPD et que ma santé (des problèmes de dos) m’empêchait d’être un opérateur de machinerie lourde comme je le souhaitais, j’ai accepté de travailler au bureau. Trois ans plus tard, c’est ma division qui fusionne et on me demande de prendre la présidence de Soleno. Mais j’ai hésité, mon rêve n’était pas de faire de l’administration.
Laissez-moi vous raconter une autre his- toire: en 1989, on me demande d’aller en Europe pour voir des équipements pour fabriquer de plus gros tuyaux. Honnêtement, je ne connais pas ça. À Batimat à Paris, je découvre un produit qui ne coûte rien et que je pouvais distribuer. Quand je reviens, le conseil d’administration me demande si j’ai trouvé les nouvelles machines pour faire grandir l’entreprise en matière de volume et de diamètre des tuyaux et en chiffres d’affaires. Je réponds que non, que ça coûte trop cher. Mais je sors de ma poche un petit patin malin – c’est une petite rondelle avec du teflon – et je leur dis: c’est ça qu’on devrait faire. Ça a été tellement difficile les années qui ont suivi que c’est le patin qui nous a sauvé. J’en ai vendu pour 225 millions $ US aux États-Unis. Cet argent-là nous a permis de traverser les décennies. Et on a finalement réussi à implanter les grosses machines qu’on souhaitait à l’époque.
On comprend les racines fami- liales avec les Lazure, les Poirier ; ça fait plus de 30 ans
que vous êtes aux commandes et vos deux fils sont présents dans l’entre- prise avec vous. Peut-on encore dire que Soleno est une entreprise familiale?
C’est un enjeu que je veux essayer de conserver. J’ai tou-
jours cru à ça, l’entreprise
familiale. C’est difficile de
garder cette notion aussi
forte, passionnée, engagée :ilyaplusde monde, il y a plus de sites et il y a eu, aussi, la pandémie. Beaucoup d’employés sont avec nous depuis 25 ans et plus. Et j’ai la chance d’avoir deux fils qui sont très habiles. Je les vois aller et j’en suis fier. Et, j’ai une fille, Marie, qui vient chez Soleno de façon partielle. J’aurais aimé qu’elle participe davantage, mais elle est très heu- reuse en enseignement.
Parlons de l’avenir. Nous sommes dans le même club tous les deux, la soixantaine.
Est-ce que vous pensez à la retraite? Quand j’ai posé des questions à vos proches, leur réponse a été : quand il ne travaille pas qu’est-ce qu’il fait ? Ben, il travaille.
Je vois des jeunes qui ont une vie plus équilibrée et parfois je me demande comment ils vont y arriver
avec leur gestion du temps : loisirs, équi- libre et tout ça... il faut qu’il y ait des revenus quelque part, il faut livrer la mar- chandise quand tu es bien rémunéré.
J’ai mes idées préconçues. Est-ce qu’elles sont bonnes ? Je pense qu’elles vont être bonnes à moitié. Pour moi, quand je suis tranquille, seul, mon loisir préféré c’est de rêver, de rêver à mon entreprise.
Êtes-vous un meilleur patron aujourd’hui que quand vous aviez 28 ans ?
Quand on passe de 12 employés à 550 aujourd’hui, l’important c’est d’améliorer son écoute. C’est
essentiel d’apprendre à faire confiance et, surtout d’apprécier le résultat même s’il n’est pas de ton goût. Je pense que je suis meilleur parce que j’ai été bien entouré. Il nefautpasselecacher:situneteques- tionnes pas, tu ne changeras pas.
Vous avez toujours le goût de venir au travail ?
Ah oui! Le matin à 6h je suis debout. J’aime les projets, j’aime
quand ça bouge. Pendant la pandémie, on a fait deux acquisitions : une en Ontario en 2020, une autre en 2021 à Saint-Henri- de-Lévis. Il y avait des craintes en 2020, mais il faut oser. Je ne sais pas quand ça va arrêter, mais pour le moment je souhaite continuer.
Le mot acquisition fait partie de l’histoire de Soleno, vous en avez fait plusieurs. Est-ce que
le contraire pourrait arriver et qu’à un moment donné vous accepteriez l’offre d’une grande société de vous acheter ?
J’espère que je vais être mort si ça arrive ! Ça vous donne la réponse.
Ça vous ferait de la peine ?
Il n’est jamais trop tard pour vendre une entreprise. Mais sois certain que tu veux la vendre parce
qu’une fois vendue, elle est vendue. J’ai connu des gens qui ont vendu leur entre- prise et qui l’ont regretté.
Personnellement, c’est la pérennité de l’entreprise que je veux. Parce que les gens qui y travaillent, je les aime.
Je suis fier de dire que l’entreprise est détenue par deux actionnaires importants : mon frère Normand, en qui j’ai confiance aveuglément et à sa famille et Alain Poirier ; avec ça, on dépasse les 57%, donc on aura toujours le dernier mot à dire.
Je vais vous confier un secret: on m’a approché à plusieurs reprises depuis deux ans pour la vendre: pas intéressé, pas pantoute !
 34 PRINTEMPS 2022 AQMAT MAGAZINE
Entrevue présidentielle
On recevait Alain Poirier, à la tête d’une entreprise qui célèbre ses 45 ans cette année puisque tout a commencé en 1977. J’ai comme l’impression, avec ces dernières paroles,
que ça va se poursuivre pendant plusieurs années, peut-être éternellement.
































































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