Page 51 - AQMAT Magazine Printemps 2022
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sur seul avis du gouvernement. Aussitôt qu’elle a annoncé ses intentions d’émigrer, on lui a fait savoir qu’elle ne pouvait continuer dans une fonction où trop de données sensibles circulent. Elle a été transférée à une agence de publicité. Étatisée, elle aussi.
Finalement arrivée ici, Anay subit son premier choc, et ce n’est pas le froid, bien qu’on soit alors en plein hiver. C’est le parlé québécois. Pour obtenir sa résidence permanente, elle et son mari avaient réussi les cours de français donnés dans la capitale cubaine par l’Alliance française. Sauf que l’écart entre le « français-français » appris là-bas en théorie et la pratique ici était immense. «On ne comprenait absolument rien de ce que la propriétaire de notre premier logement nous disait », se souvient-elle, sourire en coin.
Si la langue représentait une barrière, c’est plus encore la culture, la culture des affaires, la hiérarchie en entreprise qui ont été à ses yeux les obstacles les plus difficiles à surmonter.
Anay explique : « À Cuba, on fait sa petite affaire, on ne peut oser ni proposer. Alors qu’ici, au contraire, si on s’en tient à accomplir ce qu’on nous demande, c’est possiblement mal perçu. On nous croit peu intéressés, pas tout à fait engagé dans son travail. En vérité, c’est qu’on doit se reprogrammer. Et cela nécessite du temps. »
Au bout de sept mois, Anay a trouvé un premier boulot, dans un OSBL d’envergure modeste, payée à même le programme PRIIME d’Emploi-Québec. Ou sous-payée, devrait-on dire.
Puis la magie de l’Internet, plus précisément la plateforme Linkedin, a mis en contact Anay avec Richard Darveau. Ce dernier avait amorcé la recherche d’une technicienne-comptable avec expérience en OSBL. Le 9 janvier 2018, elle commençait une carrière à l’AQMAT.
Après quelques mois, la pression était à son maximum. M. Darveau raconte le manque de patience de plusieurs membres du conseil d’administration : « les difficultés de communication d’Anay en français et sa méconnaissance des relations d’affaires ici étaient interprétées comme des incompétences ou un manque de volonté. »
À ce sujet, M. Darveau y va d’un conseil: «Il ne s’agit pas de tolérer des déficiences d’aptitudes et de comportement, mais plutôt de faire la part des choses en tentant de vérifier si les points de friction sont dus aux origines de l’arrivant. Si oui, dites-vous que chaque semaine, ces problèmes se régleront un peu plus. »
Mais pourquoi avoir toléré tant d’obstacles qui auraient pu être évités en embauchant une personne de formation équivalente, mais née ici ? M. Darveau répond : « Émigrer est rarement un choix libre. Anay a risqué tout pour une vie meilleure. Le minimum pour nous, sa terre d’accueil, est d’être à la hauteur de la confiance qu’elle a mis sur notre pays. »
Au fil des quatre ans d’Anay à l’AQMAT, déroulées sous le signe du labeur constant et de la loyauté, ses responsabilités et son titre d’emploi ont été revus à la hausse. Sa rémunération aussi.
On se doute bien que le facteur météo vient aussi jouer dans la tête et le corps de toute personne qui quitte les Caraïbes pour un pays qui est longtemps l’hiver. «Certes, la chaleur nous manque, confirme Anay, mais jamais autant que la famille ».
Toute l’équipe espère sincèrement que l’AQMAT saura combler en partie ce qui manque à Anay en se comportant d’une certaine façon comme sa famille d’accueil...
 Dossier Employés d’ailleurs
 Un jargon de la construction loin d’être universel
Lorsque Henry Nguyen déclare: «je parle québécois comme un Québécois. Je sacre aussi comme un Québécois» et quand Saïd Benabdeslam affirme «si un client me demande une égoïne, je sais ce que c’est ! », le sentiment de fierté et d’accomplissement est palpable. Avec raison !
Être originaire d’un pays francophone et parler québécois s’avèrent deux choses différentes.
Pour être pleinement fonctionnel en quincaillerie, un travailleur immigrant doit apprendre un nouveau vocabulaire, interpréter les tournures de phrase, décoder les expressions, se familiariser avec les accents.
À titre d’exemples, voici quelques mots utilisés spécifiquement en quincaillerie: Drill, duck tape, gallon, hook, loose, palette, patente, piton, potée de char, sauteuse, stucco, stainless, tire, verge, vilebrequin, velcro.
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