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La Tribune des travailleurs - No263 - Mercredi 4 novembre 2020
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INTERNATIONAL
Bolivie « Une véritable victoire du peuple »
Allemagne Les travailleurs font échec
à la « paix sociale »
L’accord salarial de 2,5 millions des salariés des services publics (hôpitaux publics, crèches, communaux, ges- tion de l’eau et des déchets, transports en commun), signé périodiquement entre employeurs et syndicats, prenait fin l’été dernier. Traditionnellement, après signature d’un tel accord, la « paix sociale » est obligatoire pour la durée de l’accord.
Dans un premier temps, la direction du syndicat Ver.di (deux millions d’adhérents sur 4,5 millions de sala- riés du secteur) proposait de pro-
longer l’accord existant jusqu’en 2021. Les salariés, consultés par le syndicat, ont très largement rejeté cette proposition.
Au début des négociations, les employeurs publics (État fédéral et com- munes [1)]) ont proposé 1 % d’augmenta- tion jusqu’en 2023 contre une augmenta- tion du temps de travail et la suppression de jours de congé. Une véritable provo- cation qui a soulevé l’indignation des personnels, soutenus massivement par la population. La direction du syndicat a alors lancé une série de grèves tour- nantes « d’avertissement » avec, comme mot d’ordre : « Les applaudissements ne suffisent pas. » Durant tout le mois d’octobre, ces grèves ont été très suivies et ont pesé sur les négociations... mais aussi sur la direction de Ver.di. Le journal allemand Taz (26 octobre) indique que le gouvernement et les employeurs com- munaux avaient « peur de fortes perturba- tions sociales en pleine deuxième vague ». L’accord signé court pour les vingt-huit prochains mois. Il prévoit six mois sans aucune augmentation, puis 1,4 % d’aug- mentation en avril 2021 et 1,8 % en avril 2022. C’est plus que la proposition patro- nale initiale, mais à peine plus que l’infla- tion (2).
Pour tenter d’apaiser la colère des hos- pitaliers et de la population, un accord spécifique pour les soignants prévoit dans ce secteur une augmentation de 8,7 % sur deux ans (et 10 % pour les personnels des soins intensifs).
Quant aux salariés des aéroports, menacés de suppression de postes, ils ont obtenu une « garantie d’emploi » jusqu’à fin 2021, mais ont dû renoncer à toute aug- mentation.
Pour Frank Werneke, président de Ver.di, « dans les conditions actuelles, il s’agit d’un accord respectable ». Cet accord n’est pourtant pas l’accord du siècle. La revendication syndicale était de 4,8 % d’augmentation pour tous pour une durée de un an.
Mais plus que le résultat lui-même, la façon par laquelle les salariés ont su imposer leur volonté aux dirigeants syn- dicaux est significative. Gouvernement et employeurs ont ressenti la puissance du mouvement ouvrier organisé et la déter- mination des salariés qui, soutenus par la population, ont obtenu plus que la pro- position initiale de l’employeur et ont contraint la direction syndicale à aller plus loin qu’elle le voulait. Le gouvernement de grande coalition a bien raison d’avoir « peur de fortes perturbations sociales ». n
M. S., avec nos correspondants
(1) Les employeurs communaux sont le plus souvent des élus du Parti social-démocrate (SPD) qui ont en face d’eux des dirigeants syn- dicaux Ver.di, eux-mêmes membres du SPD. (2) À noter que la revendication d’égalité du temps de travail entre « Est » et « Ouest »
est renvoyée à 2023. Or, trente ans après la réunification de l’Allemagne, on travaille plus longtemps à l’Est qu’à l’Ouest !
Entretien avec une militante ouvrière d’El Alto sur la signification de l’élection présidentielle du 18 octobre.
Comment apprécies-tu le résultat de l’élec- tion présidentielle qui a mis en échec les candidats qui avaient soutenu le coup d’État militaire « made in USA » de novembre 2019 et renversé le président Evo Morales ?
Cette élection est une véritable victoire du peuple bolivien, un vote écrasant contre le régime militaire de droite et raciste de Jeanine Añez, haï par le peuple. Ce n’était pas un vote pour le MAS (1) et ses dirigeants.
La victoire de Luis Arce (candidat du MAS) a surpris l’establishment politique, qui pensait que le vote serait partagé à égalité entre les trois candidats : Arce du MAS, l’ancien président de droite Carlos Mesa et le chef de la région séparatiste d’extrême droite de Santa Cruz (2), Camacho. Ils s’attendaient à une victoire de Mesa soutenu par Camacho au second tour.
Mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. Arce a obtenu 53 % dès le premier tour, battant ses deux adversaires. Mesa a été forcé de recon- naître le résultat, provoquant la colère de l’ex- trême droite de la bourgeoisie, qui, de son côté, a prétendu que l’élection d’Arce était fraudu- leuse et qu’une autre élection devrait avoir lieu.
D’où vient ce résultat ?
On ne peut le comprendre si on ne part pas de la profondeur de l’opposition contre le régime issu du coup d’État de novembre 2019. Une semaine seulement après le coup d’État, l’armée bolivienne a massacré trente-six pay-
sans indigènes qui marchaient de Cochabamba à La Paz pour revendiquer leurs droits. La pré- sidente autoproclamée, Añez, a abandonné toutes les charges retenues contre les mili- taires, les exemptant de toute responsabilité pénale. Añez a interdit la Wiphala, ce drapeau multicolore qui représente les peuples autoch- tones en Bolivie et à travers les Andes. Sa haine raciste, celle de l’élite qu’elle représente, contre le peuple bolivien, s’est étalée jour après jour.
Ajoutez à cela la corruption généralisée du régime. Parmi de nombreux exemples, citons le scandale de l’achat de respirateurs médicaux en Chine. Ils ont été achetés trois fois leur prix (le régime militaire empochant des millions de dollars au passage), mais ils n’ont jamais fonc- tionné, signe du mépris du régime putschiste contre les couches populaires en cette période de pandémie de Covid-19.
Quelle avait été la réaction des travailleurs, des paysans et de leurs organisations au coup d’État ?
Les mouvements sociaux, dirigés par les Juntas Vecinales (conseils de quartier) ont lancé la résistance immédiatement après le coup d’État. Les gens se sont autoorganisés. La confédération syndicale historique, la Centrale ouvrière bolivienne (COB), avait dans un pre- mier temps approuvé l’éviction d’Evo Morales, mais elle a dû ensuite prendre la tête de l’oppo- sition au régime d’Añez et à son gang raciste. En août dernier, le quartier général de la COB a été détruit par des voyous fascistes liés au régime. Ensemble, toutes ces organisations se sont mobilisées pour réclamer une nouvelle élection présidentielle, qu’Añez a finalement
été contrainte, par ce mouvement d’en bas, de convoquer le 18 octobre.
Le 28 octobre, Orlando Gutierrez, secrétaire de la Fédération bolivienne des mineurs (FSTMB), a été assassiné à La Paz. Qui est responsable ?
Ce sont les milices fascistes basées dans la région séparatiste de Santa Cruz. Ils ont pris Gutierrez en embuscade. Il était un partisan du MAS. La situation est inquiétante : des militants syndicaux et politiques opposés au régime du coup d’État ont été menacés par ces milices, enra- gées par les résultats de l’élection présidentielle. Nous, militants du foyer de résistance qu’est El Alto, devons être particulièrement prudents.
Le nouveau président, Arce, appelle à une « réconciliation entre toutes les forces sociales en Bolivie », y compris les auteurs du coup d’État militaire...
Encore une fois, le 18 octobre a été une vic- toire du peuple, pas du MAS et de ses dirigeants. Les syndicats et les mouvements sociaux ne peuvent baisser la garde : ils doivent sauvegarder l’indépendance de leurs organisations pour les luttes à venir. n
Propos recueillis par Alan Benjamin, le 31 octobre 2020
(1) Mouvement vers le socialisme, parti d’Evo Morales, qui a gouverné la Bolivie de 2006 à 2019.
(2) La bourgeoisie blanche de la riche province de Santa Cruz a toujours cultivé des tendances séparatistes, considérant avec racisme et mépris la majorité (d’origine autochtone) de la population bolivienne.
18 octobre : des paysannes issues des peuples autochtones dans un bureau de vote
Une pancarte brandie le soir du 25 octobre, place d’Italie à Santiago (photo), proclame : « Contre vents et
Covid, le Chili a décidé d’en finir avec l’héritage du dictateur ». Ce jour-là marquera une date his- torique pour les travailleurs, les jeunes et le peuple travailleur, qui ont massivement voté pour en finir avec l’actuelle Constitu- tion héritée de la dictature Pino- chet.
Pour Courrier international
(26 octobre 2020) : « Le plébis-
cite ne souffre aucune contes-
tation. Près de huit Chiliens
sur dix se sont prononcés
dimanche en faveur de la rédac-
tion d’une nouvelle Constitution pour rempla- cer celle en vigueur depuis le règne d’Augusto Pinochet. Le processus ne fait que commencer. »
Le média en ligne chilien Infobae précise :
« La journée a été marquée par la participation la plus forte depuis l’instauration du vote volon-
taire en 2012. Près de 15 millions de Chiliens étaient appelés à voter. De longues files d’attente ont été observées malgré la pandémie. Les jeunes Chiliens ont visiblement voté en nombre, alors que 60 % s’étaient abstenus lors de l’élection pré- sidentielle de 2017. » Cela traduit une aspiration
à la rupture avec les institutions de la dictature exprimée depuis le surgissement des masses en octobre 2019, que la répression déchaînée par le gouvernement ne parvenait pas à faire refluer.
Le peuple chilien a rejeté la proposition que la nouvelle Constitution soit élaborée par une « assemblée mixte » qui aurait réuni 155 « citoyens et parlementaires en place actuellement ». Il s’est pro- noncé pour une « Convention constituante » composée de 155 « députés constituants » chargée de rédiger la nou- velle Constitution, exprimant par là sa volonté d’une véri-
table Assemblée constituante souveraine qui prenne tous les pouvoirs et réalise les aspirations démocratiques et sociales
Chili « Contre vents et Covid...»
de la majorité.
n
Jean-Pierre Raffi