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La Tribune des travailleurs - No263 - Mercredi 4 novembre 2020
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À LIRE
L’Amérique, de Nixon à Reagan, passée au crible dans une trilogie et un polar. Des romans qui dessinent aussi le portrait de femmes révoltées et insoumises.
MAGAZINE
À VOIR
L’automne en poche II
Burn After Reading
Un film des frères Coen, en mode comédie
TF1 Séries Films, dimanche 7 novembre, 23 heures
Osbourne Cox (John Malkovich), analyste de la CIA, a des pro- blèmes d’alcool... On le vire. Sans plus attendre, il entreprend de
rédiger ses Mémoires, ce qui n’est guère conseillé dans le milieu du secret-défense. Et, malheur, une copie de son disque dur arrive entre les mains de Chad Feldheimer (Brad Pitt), un gros bras sans grande cer- velle du centre de remise en forme phy- sique voisin... C’est ainsi que s’amorce la brillante comédie de Joel et Ethan Coen, tournée en 2008, avec également George Clooney dans le rôle d’un séducteur à la manque.
Une palette extensible à l’infini de personnages divers et grotesques, sous le regard ironique des deux frères réali- sateurs, s’immisce alors, plus ou moins directement, dans un imbroglio jouis- sif, où cadavre dans le placard, chan- tage, panique, divorce et vengeance sans mesure se mêlent à la politique, où CIA et ambassade de Russie essaient en vain de calmer le jeu et de mettre la poussière sous le tapis.
On retrouvera avec plaisir la manière de filmer des auteurs de The Big Lebowski, Ladykillers, No Country for Old Men et, der- nièrement, La Ballade de Buster Scruggs, tout en truculence déjantée, et piétinant
Corruption, délation
Aet contestation permanentes
lice ne vit pas au pays des merveilles mais aux États-Unis où elle déchante de jour en jour. Éditrice dans les années 1980, celles du sida et de l’ère reaga-
nienne, elle visite en prison son frère Adam. Ce dernier est incarcéré, après avoir été dénoncé par son frère, pour délit d’initiés dans des fonds spéculatifs. La jeune femme se souvient de sa prime jeunesse. Lycéenne en 1970, elle s’apprêtait à entrer à l’université pour un cur- sus littéraire. C’était l’époque des contestations estudiantines contre la guerre au Vietnam et l’intervention américaine au Cambodge. Celle de l’émergence du mouvement hippie « Peace and Love » s’exprimant à travers les manifesta- tions politiques et musicales vite réprimées par les autorités. La fin de l’« American Dream » se précipite avec l’arrivée de Nixon, « Dick, le sour- nois, le menteur », au pouvoir.
Alice découvre, via les confidences de son frère cadet, que sa famille dissimule bien des secrets. Son père, propriétaire d’une mine de cuivre au Chili, peste contre Allende, son nou- veau président, qui veut les nationaliser. Il est aussi membre de la CIA et complote contre ce gouvernement qu’il contribuera à renverser par le sanglant coup d’État de Pinochet. Alice affronte également la discrimination sexiste à l’encontre d’une de ses camarades de cours. À la fin du premier tome, elle s’inscrit à la fac la plus éloignée de chez sa mère abusivement possessive. Dans le deuxième tome, déçue par les mensonges et la falsification dont s’est rendu coupable son petit ami, Alice part pour- suivre ses études en Irlande, à Dublin. Elle y rencontre Ciaran, brillant étudiant en droit, avec lequel elle envisage de s’unir. Mais le jeune homme décède dans un attentat de l’IRA*. L’auteur se livre ici à un réquisitoire, même s’il critique toutefois la brutale politique anti-
Par Géraldine Pinelli
sociale et répressive de Margaret Thatcher, la « Dame de fer ». Dans le troisième tome, brisée par ce drame, Alice repart aux États-Unis et retrouve sa famille, qui va se fissurer du fait de ses non-dits. Elle se consolera avec un ancien camarade de cours et s’investit dans la défense d’auteurs indépendants. Au cours d’un repas au restaurant, émerge alors la figure sinistre de Donald Trump en compagnie de deux jeunes Polonaises auxquelles il promet un brillant ave- nir... Sa muflerie, son arrogance, son cynisme sont formidablement dépeints par Douglas Kennedy, farouche adversaire de l’actuel pré- sident des États-Unis, à l’instar de son compa- triote et collègue Robert Goolrick. La duplicité, le mensonge, la trahison, la culpabilité restent la ligne maîtresse de son œuvre. On la retrouve ici comme dans La Poursuite du bonheur, son plus grand succès littéraire. n
La Symphonie du hasard, de Douglas Kennedy, Pocket, trois ouvrages, 7,60 euros chacun.
*Armée de la République d’Irlande, combattant l’occupation britannique.
Critique de la discrimination et du harcèlement
R
venu dans son enfance. Impuissante, elle a vu son père, surfeur aguerri, se noyer dans l’océan. Inspectrice à Hollywood City, elle travaille sur- tout en service de nuit. Sa hiérarchie l’a placée là en représailles après sa plainte pour harcèlement sexuel visant son ancien chef. Son collègue de l’époque ne l’a pas soutenue dans sa démarche alors qu’il avait assisté aux manœuvres d’intimi- dation et de pression sur la jeune femme par leur patron.
Désormais, Renée doit se contenter de rédi- ger des rapports et autres tâches administra- tives. Elle se trouve littéralement interdite de ter- rain. Sa consolation réside dans la pratique du « padding ». Elle campe seule sur la plage avec sa chienne pour unique compagnie. Toutefois, l’inspectrice ne renonce pas à enquêter en dépit des injonctions qui lui sont régulièrement faites. Elle reprend ses investigations après la sauvage tentative de meurtre d’un transgenre dans un parking. Sa piste remonte alors jusqu’à un serial killer qui tente de l’assassiner. Elle découvre également l’implication d’un collègue dans des magouilles avec des malfrats. Seule contre tous, Renée parviendra à boucler son enquête et retrouvera la sérénité. Au-delà de l’intrigue poli- cière, ce portrait d’une femme intègre, coura- geuse, obstinée et farouchement indépendante séduit. On retrouve ce personnage attachant dans le dernier roman de Connelly, Nuit sombre et sacrée, où elle s’allie au célèbre inspecteur Harry Bosch pour une nouvelle enquête. n
En attendant le jour, de Michael Connelly, Le Livre de Poche, 8,70 euros.
enée Ballard, nouvelle héroïne dans l’univers de Connelly, est américaine, d’origine hawaïenne et mexicaine. Elle
reste traumatisée par un drame sur-
les conventions.
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Didier Prat
Critique non autorisée du jargon mensonger
Amortisseur social
Ce ministre voudrait tant que ses réformes, les crises qu’elles provoquent, les cahots qu’elles engendrent,
le chaos auquel elles vouent le pays, passent en douceur. « J’ai fait un rêve... », semble-t-il vous dire.
Alors, il parle d’amortisseur économique et social. Expression étrange, pour désigner des insti- tutions comme la Sécurité sociale. Le terme donne à penser que les travailleurs ne l’ont pas construite pour se protéger des aléas de la vie. Qu’ils ne se sont préoccupés que de l’équilibre émotionnel des gou- vernants et des capitalistes.
Les remboursements des frais médicaux ? Un moyen de faire taire les révoltes. Les retraites ? Une solution pour que l’ordre règne. L’assurance chômage ? Un pare- feu contre les actions que pour- raient mener les travailleurs privés d’emploi, avec leurs camarades en activité. Autant de dangers que les velléités maladives d’un ministre ordinaire pensent amortir. n
Fabrice Toscan
Un livre d’entretiens où la grande avocate, décédée en juillet 2020, revient sur son parcours exception- nel et ses combats est paru fin août.
Sa révolte, sa soif de justice, son refus de l’ordre établi, son insoumission réelle et son indi- gnation la poussent à combattre, à se rebeller : une quête de liberté qui l’ac- compagnera toute sa vie.
À l’âge de 10 ans, elle décide une grève de la
faim pour protester contre l’obligation qui lui est faite de servir les hommes de la maison et de se consacrer aux tâches ménagères. C’est sa première victoire : elle ne servira plus ses frères, ni à table ni ailleurs.
Interrogée par la journaliste Annick Cojean, elle revient sur les épisodes les plus marquants de sa vie. Un parcours semé de combats, de causes à défendre, de lois à changer, d’injus- tices à réparer. Elle évoque bien sûr la guerre d’Algérie, la torture, le droit des peuples à dis- poser d’eux-mêmes. Le procès de Bobigny en 1972, le manifeste des 343 dont elle fut l’une des principales inspiratrices, ses luttes pour la répression du viol, son (bref) engagement comme députée sont aussi abordés...
Avocate de renom, elle plaide pour défendre ses clients, mais pas seulement. C’est
aussi pour elle l’occasion de faire avancer des causes, de dénoncer des lois. « La justice a été la grande affaire de ma vie », dit-elle. Et elle termine son livre en s’adressant aux jeunes femmes d’aujourd’hui : « Qu’attendez-vous d’elles ? », questionne Annick Cojean. « Qu’elles fassent la révolution, répond-elle, car nous sommes encore si loin du compte. » Et d’évo- quer René Char lorsqu’il écrit : « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience. »
Gisèle Halimi, l’indomptable
Message reçu !
Une farouche liberté
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Jean Delarue
Gisèle Halimi avec Annick Cojean Éditions Grasset, 160 pages, 14,90 euros.
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