Page 16 - Mes années soixante PDF
P. 16
Enfin, j'ouvre mon album photos privé pour
évoquer notament mes parents disparus il y a déjà si
longtemps. Mon père nous a quittés en juillet 1970.
Nous étions tous les quatre à nous émouvoir devant
un film, «Tu seras un homme, mon fils», dans lequel,
le père, mourant, prépare son fils à vivre seul,
pendant que notre propre père, à côté, dans la
chambre, rendait son dernier souffle sans que nous ne
nous en doutions une seconde. A 10 ans, je n’avais
pas assez connu mon père pour éprouver du chagrin
ou un manque. C’est beaucoup plus tard, adulte,
qu’on a besoin d’un échange avec son paternel et que
l’absence se fait sentir. J’aurais beaucoup aimé être
dans la confidence avec lui, l’inviter au resto pour
discuter entre hommes,
évoquer ensemble nos
bonheurs et nos épreuves,
l’écouter raconter sa vie.
Lorsque ma mère tombe malade en 1997, elle rouvre
sa terrible blessure, celle de la disparition tragique de
mon frère ainé, 7 ans, en 1958, dans un accident de la
route stupide. Un coup de klaxon, mon frère, parti à
vélo chercher du pain au bourg, tourne la tête et
malheureusement en même temps son guidon pour
percuter la voiture qui le doublait. Et ironie du sort,
l’automobiliste sortait de la cave de mon père. Les
larmes que j’ai vues couler, pour la première fois, sur
ses joues lorsqu’elle a évoqué le drame, prouvaient
bien que le temps n’effaçait rien et que l’approche de
sa propre fin faisait tout remonter à la surface. J’en
ai été à la fois surpris et profondément bouleversé.