Page 56 - Bouffe volume 3 - Surgelée
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gents des personnes qui croient sortent et on me montre des visages de trolls sur une façade montagneuse; le pauvre troll est transformé en pierre si les rayons du soleil l’atteignent. Ceci explique pourquoi ils sont si élusifs... comme Big Foot?
Mon conte préféré c’est l’histoire des 13 trolls de Noël, les Jólasveinar. Ici, il n’est pas question d’un joyeux Père Noël à barbe blanche qui livre des cadeaux par effraction. Non. Ici, treize trolls récompensent les enfants, chacun à leur tour, pendant les treize jours qui précèdent le 25 décembre. Pro- géniture de la méchante troll Grýla, qui se régale des joueurs de tours et des mauvais étudiants, et d’un père paresseux nommé Leppalúði, ces 13 bienfaisants déposent un petit cadeau dans les souliers d’enfants placés sur le bord de la fenêtre la veille. Les malheureux, par contre, y trouvent une vieille patate.
Il y a aussi le chat redoutable nommé Jólaköttur qui, la nuit de Noël, capture tous les enfants qui ne portent pas de nouveaux vêtements. Il y a donc au moins une population d’enfants sur cette Terre qui sont hyper heureux de recevoir des bobettes neuves aux Fêtes.
Vers la fin de la soirée, plusieurs de mes convives décident que je dois absolument apprendre à bien prononcer le nom de ce méchant volcan qui est entré en éruption en 2010. On punit mes erreurs avec des shots de Brennivin, eau-de-vie super forte surnommée la Mort Noire. Après quelques ma- ladroites tentatives, je réussis enfin à bien prononcer Eyjaf- jallajökull : éh - ya - fyat - la - yeu - queue - tul ... pour ceux qui veulent bien se pratiquer!
Le lendemain, la tête qui tourbillonne légèrement, je pars explorer le fameux circuit du Cercle d’Or : les geysers, le parc national Þingvellir — le site d’un des plus anciens parle- ments au monde et l’endroit où se rejoignent les plaques tectoniques européenne et américaine — et les chutes de Gulfoss. Ces chutes sont composées de deux larges cascades hautes de 32 mètres, couronnées d’un arc-en-ciel lors des journées ensoleillées. Tant pis pour moi, le ciel est nuageux. Surnommées les chutes d’or, ces cascades nous donnent l’impression qu’elles font compétition aux spectacles de rock les plus assourdissants. QUOI?!!
Le surlendemain, je repars pour l’aéroport rencontrer mon amie norvégienne Annelin qui se joint à moi pour cinq jours. On se loue une petite auto Chevy Cruze bleue qu’on
56 nomme Papa Schtroumpf. Pas besoin de GPS ici : l’autoroute 1 fait le tour du pays.
Premier arrêt : le parc géothermique de Hveragerði. Ça pût les œufs dans ce coin! On retrouve dans cette région une énergie géothermique qui permet la création de produits de beauté faits de boue. Et plusieurs restos utilisent cette source d’énergie naturelle et gratuite pour faire cuire leurs petits plats. J’ai beaucoup aimé saucer mes petits pieds glacés dans les eaux chaudes pendant que mes œufs bouil- laient juste à côté. Mon délice préféré, c’est le hverabraud, un pain de seigle moelleux enfourné dans la terre chaude pendant environ 24 heures. Il se caramélise un peu durant la cuisson. Miam, miam!
De retour sur la route 1, on passe par le village de Hella — que nous surnommons Hella boring. On se fait arroser à la chute Skógafoss et on s’arrête prendre des photos au volcan Eyjafjallajökull, nom que je prononce maintenant avec un accent parfait. On se rend jusqu’à Vik, sur la côte Sud, pour nous balader sur la plage noire. On y achète des chandails lopapeysur tricotés par les mamies du village et on part en mini-randonnée visiter une petite église au haut de la mon-
tagne, qui offre une vue panoramique de la région. Après avoir déposé nos bagages au HI Youth Hostel Vik, on part à la recherche d’un restaurant pour essayer cette fameuse soupe à l’agneau et aux légumes. Cette recette incroyablement simple donne fruit à un met incroyablement lèche-babines! On beurre nos galettes de seigle flatkökur cuites sous la cendre. Pour dessert, on nous propose du skyr, un yaourt qui ressemble à un fromage blanc épais, avec une généreuse portion de confiture aux bleuets. C’est dé-li-cieux!
On reprend la route tôt le lendemain matin. Puisque la plupart des Islandais vivent dans la région de la capitale, il n’y a pas beaucoup de trafic. Nous croisons quelques ponts dont la largeur ne permet le passage que d’une seule voiture. Certaines zones sur ces ponts permettent à deux voitures qui voyagent en sens inverse de se laisser passer. On attend son tour, et on se salue en passant.
Une petite visite à la chute Svartifoss et à la lagune glaci- aire Jökulsárlón est au menu aujourd’hui. Les petits icebergs turquoise et bleu foncé se détachent du front du glacier Vatnajökull. Cette lagune a été le cadre de plusieurs films, dont deux James Bond, Batman Begins et Lara Croft : Tomb Raider. On voit plusieurs phoques se promener dans les eaux glaciales. La symphonie des craquements des glaces trace la bande sonore de la lagune.
À Vagnsstaðir, c’est la place idéale pour faire de la moto- neige sur le glacier Vatnajökull, avec la petite entreprise fami- liale Glacierjeeps. Arrivés au haut du glacier, on suit de l’œil le trajet de l’eau glaciale qui coule au travers des rochers, pour se rendre à l’océan bleu qui brille comme un ciel de milliers d’étoiles à l’horizon. Plusieurs scènes de la télésérie Game of Thrones ont été filmées ici. Je m’imagine donc pour- suivie par des zombies glacés en criant, You know nothing, Jon Snow!
Selon moi, il faut toujours manger dans un restaurant de mets traditionnels du pays. Pour vraiment découvrir une culture, il faut la manger! Ceci étant dit, jamais le cœur ne m’a autant levé à cause d’une odeur; celle du hákarl : du requin fermenté! Puisque le requin n’a pas de reins, il sue son urine. Ce n’est déjà pas très prometteur en terme de gastronomie. Mais les Islandais en ont peaufiné la prépara- tion pour empirer la situation : le requin est enterré pendant six mois — afin d’en éliminer toutes substances toxiques — et est ensuite séché un autre six mois. Comme mon héros goûte-à-tout Anthony Bourdain, je n’ai pris qu’une minus- cule bouchée et, même à ça, j’ai eu beaucoup de misère à l’avaler. On aurait dit une galette d’urine. Je me suis conten- tée de brochettes de hvalur (de la baleine) à la texture de steak et au fort goût de poisson. Un steak de thon, peut-être?
Enfin, notre dernière journée se passe dans une extrême détente au Lagon bleu, à flotter, cocktail en main, dans les eaux thermales. On se barbouille le visage et les épaules de boue et on admire le contraste entre l’eau turquoise et les roches volcaniques noires qui l’encadrent. À travers les bru- mes, je cherche des visages de trolls.
L’Islande est un pays sans pareil et je vous recommande for- tement de le visiter, été comme hiver. Vous n’êtes toujours pas convaincus? Et bien, sachez qu’il n’y a pas de marin- gouins ni de serpents en Islande. Góða ferð!
phot. Andrés Nieto Porras, @anieto2k // Chris Wronski, @thewronski // Andrea Schaffer, @aschaf // Marco Belluci, @marcobellucci //
Helen, @istolethursday
phot. 7 Marco Belluci, phot. 8 Chris Wronski phot. 9 Helen


































































































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