Page 37 - Rebelle-Santé n° 197
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Propos recueillis par Virginie Parée
Il existe d’autres explications à la peur de l’eau ?
J.-P. B. : Une transmission familiale : « Les adultes au- tour de moi avaient peur et m'ont transmis cette peur ». L'eau est parfois présentée aux enfants comme un élé- ment dangereux, volontairement ou pas. Pour empê- cher l'enfant de s'approcher de l'eau, on lui raconte des histoires terrifiantes du style : « Si tu mets un pied dans l'eau, un monstre marin va venir t'attraper. »
C’est souvent le cas dans des régions qui se trouvent au bord de la mer. Pour les parents et les grands-parents, l'eau n'était pas un lieu de loisir, mais plutôt un lieu de labeur. On allait pêcher et tout le monde revenait avec une histoire ou une anecdote effrayante.
Ces transmissions se font aussi au bord des rivières ou des lacs. Sans même vivre au bord de la mer, il y a aussi les his- toires de requins qui vont venir nous dévorer. Le film Les dents de la mer a fait beaucoup de dégâts dans le domaine.
V. D. : Une personne peut aussi s’être sentie trahie dans un lien de confiance : elle était dans l'eau avec quelqu'un qui l'a lâchée, ou elle a eu l'impression qu'elle n'arriverait jamais à regagner la plage et elle s’est vue mourir. Simultanément, elle voyait ses amis et son mari en train de rire sur le rivage alors qu’elle était en train de frôler la mort. Ce type de situation est vécu comme une trahison et, une fois l'évènement ter- miné, cette émotion n’est pas exprimée. Quand on de- mande à la personne de raconter, elle peut dire « J'ai été emportée par une vague » ou « On m'a poussée », mais quand on lui demande : « Et après ? » Rien, après rien ne s’est passé : on ne l’a pas entendue, réconfor- tée ni consolée.
Ce type d'évènement doit également arriver aux écoliers dans les piscines...
V. D. : Oui, il y a de nombreuses anecdotes autour de l'école. Le maître-nageur pousse tout le monde dans l'eau et il y en a un qui boit la tasse et qui se sent couler. Personne ne vient le chercher. Les camarades rient sur le bord du bassin. L'enfant sort péniblement de l'eau et doit parfois y retourner immédiatement.
Quand l'enfant raconte cette histoire à ses parents, ces derniers ne le soutiennent pas forcément, donnent par- fois raison au maître-nageur. Ce type de vécu engendre un traumatisme important. Refaire confiance à quelqu'un pour apprendre à nager
devient compliqué et il faut énormément de douceur et de délicatesse pour que la personne se sente de nou- veau respectée et en confiance.
Est-ce qu'il peut y avoir d'autres causes d'aquaphobie qui ne trouvent par leur origine dans l'eau ?
V. D. : Oui, chez des personnes qui ont été agressées, violées ou battues, qui ont peur dans leur corps. Intui- tivement, quand elles entrent dans l'eau, elles sentent bien que plus elles vont se détendre, plus les émotions vont remonter. Elles sont surprises par la force de ces émotions. On est là pour accompagner ces personnes au moment où elles revivent les moments douloureux et pour les aider à les dépasser. Accepter de se laisser porter par l'eau implique toujours un certain lâcher- prise, et le risque de laisser émerger des choses qu'on avait enfouies. Il y a des personnes pour qui s'aban- donner dans l'eau revient à être abandonnée. Dans un premier temps la personne va retraverser des sentiments d'abandon, mais, si, dans cette zone, on met de la sé- curisation et du lien, la personne va retrouver confiance et s’abandonner ; et c'est une révolution magnifique.
Est-ce qu'un accident de vie peut faire basculer dans l'aquaphobie ?
J.-P. B. : Oui, un événement dramatique comme la perte d'un être cher peut changer le rapport à l'eau. Le monde de la personne s'écroule, elle perd pied et le contact avec l'eau devient effrayant. Nous avons eu une expérience extrême avec un excellent nageur, plongeur de renom, qui remportait des records sous l'eau. Après le suicide de sa femme il s'est retrouvé en panique au moment de recommencer la plongée. Une peur terrible s’est emparée de lui au moment de plonger. Il lui a fallu du temps pour retrouver confiance.
Un choc, et « je perds pied dans ma vie ». Ça se traduit dans l'eau.
La peur est-elle liée aux lieux : la mer, les rivières, la piscine... ?
J.-P. B. : Il y a des différences objectives. On entend, par exemple : « En mer, il n'y a pas les bords ». Et puis il y a des différences par rapport aux ancrages qu'on a eus. L'odeur de chlore caractéristique des pis- cines peut faire remonter une émotion du passé qui paralyse.
C'est la même idée pour l'ancrage auditif lié à l'am- biance sonore des piscines. La restitution des bruits crée des peurs. La personne qui a peur des piscines peut ainsi se trouver beaucoup plus à l'aise en mer. Alors, qu'en mer, objectivement, il n'y a pas les bords !
V. D. : Il y a aussi les eaux troubles, les lacs avec les herbes qui remontent et qui nous frôlent, les canaux avec la vase, toutes ces eaux qui ne laissent pas de visi- bilité mettent le corps en alerte.
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