Page 26 - Rebelle-Santé n° 206
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LA CHRONIQUE
Rebelle Azucena
Une résistante à prendre en exemple
Dansmarubrique,j’aimevous présenter les expériences de vie dont nous pouvons tirer
des leçons pour vivre mieux. Au- jourd’hui, je vous présente Suzanne Rubio (dite Azucena) : quand je me sens faible, je l’appelle ou je pense à elle... et hop, ça va mieux !
Elle a 84 ans, aujourd’hui. Quand je l’ai connue, il y a cinq ans, elle habitait à Carpentras où elle vivait seule, mais très entourée. On s’est rencontrées dans un autre coin de la France et tout de suite aimées. Après m’avoir écoutée et lue, elle a organisé des rencontres autour de mes livres à Carpentras et dans d’autres villes, grâce à ses mul- tiples liens et à son affinité avec les libraires indépendants. Je l’ai revue à d’autres occasions, dans d’autres contextes... Car elle voyage, pour des causes sociales ou des raisons culturelles. Elle est toujours joyeuse et chantante... Oui elle chante ! Quand elle commence à chanter, je suis comme sur le dos d’un oiseau qui me promène dans le temps et dans l’espace. Depuis que je connais Azucena, je « vole » et je me demande comment, à cet âge, elle peut trouver une telle force. Qu’est-ce qu’elle fait pour ne pas vieillir ? Quels sont ses secrets ?
RECOMMENCER SA VIE
Si je commence à vous racon- ter toutes ses folies, les pages de notre journal ne suffiront pas. Mais écoutez au moins celle-ci : L’année dernière, elle m’a informée au téléphone qu’elle allait quitter Carpentras pour aller vivre en Bre- tagne : « Je ne supporte pas la cha- leur, le médecin me conseille de changer de climat ». Je savais que, fille unique de parents réfugiés espagnols, elle n’avait pas de famille
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en France, mais connaissait- elle au moins du monde en Bre- tagne ? « Pas beaucoup, mais ça viendra... » m’a-t-elle dit. Elle est allée à la découverte de la Bretagne et a finalement choisi Lorient, où elle ne connaissait personne. Sa décision était prise, elle n’a pas at- tendu et, quelques mois plus tard, le déménagement était fait. Elle m’a dit au téléphone : « Tu vas voir, je tisserai des liens et je t’inviterai à Lorient. »
Et elle a vite réussi. En avril dernier, j’étais à Lorient, pour plusieurs ren- contres organisées par Azucena. Je savais que « tisser des liens » était très facile pour elle, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit si rapide... Elle ne connaissait personne quand elle est arrivée... Habituellement, ce n’est pas facile pour une personne âgée de recom- mencer sa vie, de retrouver ses repères. Maintenant, elle est active dans le groupe local d’Amnesty International, elle fait partie d’une chorale et de groupes de théâtre. Et j’ai appris par les journaux lo- caux qu’elle initiait une université populaire à Lorient, et qu’elle avait déjà réuni beaucoup de personnes autour de ce projet.
Je continue à me demander : quels sont ses secrets ? Elle a été bien nourrie quand elle était enfant ? Ses parents lui donnaient beau- coup de vitamines ? Non, c’est le contraire.
APATRIDE, DANS LES TROUS
Azucena est née en 1934 à Bil- bao. Ses parents, surtout son père, étaient des militants anarchistes. Elle a passé sa petite enfance en voyage. Elle était à Barcelone au moment de la révolution sociale en 1936, puis ce fut la guerre
civile et la Retirada (exode des réfugiés espagnols)... L’exil de sa famille, en France, a commencé en 1939, au Camp d’Argelès-sur- Mer : « Nous avons vécu dans des trous de sable, jusqu’à ce que les baraques soient construites. Nous étions apatrides. J’ai fêté mon cin- quième anniversaire dans un trou de sable au bord de la plage... Il n’y avait pas d’installation sani- taire. » On les envoie d’un camp à l’autre, avec des conditions de vie toujours aussi difficiles. L’épidémie de dysenterie est partout. Notre Azucena attrape la jaunisse mais n’a pas accès à l’hôpital, à peine à une petite baraque sanitaire.
« Lorsque nous étions internées à Chaudon, les paillasses étaient à même le sol. À l’entrée de notre baraque, à gauche, il y avait celle d’une femme, de sa fille âgée de 17 ou 18 ans, la mienne, et celle de ma mère. La jeune fille fut atteinte d’une phtisie galopante. On chan- gea donc les paillasses de place : la sienne, celle de sa mère, celle de ma mère et la mienne. Belle pro- tection contre le bacille de Koch ».
LA VIE, LA MORT, LES PERTES...
En 1942, dans le cadre du regrou- pement familial, ils s’installent dans le Var, ensuite à Paris. « Nous trou- vions facilement du travail, à cette époque. » À partir de 14 ans, Azu- cena commence à militer dans des groupes libertaires. Elle est sportive et entre au club Alpin, elle fait de la randonnée à ski et de l’escalade... En une journée, elle fait le tour du lac Léman (182 km) en vélo. Très vite, elle prend son autonomie et vit dans un petit hôtel meublé et travaille en tant que secrétaire. Comme dans de nombreuses his- toires, elle tombe amoureuse et se
de Pınar Selek


































































































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