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PATHOLOGIIES
de mémoire. En 1982, Ian Carr, un médecin anatomopathologiste anglais, constata des symptômes similaires chez l’une de ses filles, une adolescente de 15 ans, bien portante et studieuse qui, de façon inattendue, souffrit d’hallucina- tions, d’une perte d’intérêt pour ses études et surtout de pertes de la mémoire à court terme. C’est juste- ment en mémoire de Shakespeare que le Dr Carr baptisa syndrome d’Ophélie les manifestations neu- rologiques en relation avec l’exis- tence d’une maladie de Hodgkin. En effet, peu de temps après fut dé- couverte la maladie chez sa fille, à l’occasion d’un bilan complet qui mit en évidence une atteinte pul- monaire. Le syndrome peut appa- raître très tôt dans la vie, dès lors qu’existe une maladie de Hodgkin.
ENCÉPHALITE LIMBIQUE
Le syndrome d’Ophélie est une encéphalite limbique (inflamma- tion du cerveau limbique) qui ne se limite pas aux symptômes expri- més par la fille du Dr Carr. En effet, les troubles déjà évoqués s’accom- pagnent parfois d’une psychose, d’une anxiété, d’une altération de la conscience, de maux de tête, d’une confusion, de mouvements inhabituels, d’une instabilité et de troubles respiratoires. Le cerveau limbique est un ensemble com- plexe situé au plus profond de notre cerveau et comportant plusieurs structures cérébrales, comme l’hy- pothalamus, les amygdales céré- brales (qui n’ont rien à voir avec celles situées dans le fond de la gorge) et l’hippocampe. Il régit nos émotions : la douleur, le plaisir ou la peur. C’est aussi l’un des centres importants de la mémoire. D’où les troubles de la mémoire très fré- quents chez les patients souffrant du syndrome d’Ophélie.
MALADIE DE HODGKIN
La maladie de Hodgkin est une forme particulière de cancer appar- tenant à la famille des lymphomes.
Elle se manifeste par une aug- mentation de volume des gan- glions lymphatiques à cause de leur envahissement par des cel- lules spécifiques, les cellules de Reed-Sternberg. Si tous les ganglions peuvent être envahis, ceux de la rate, des poumons, de la moelle osseuse (siège de la formation des cellules sanguines) et du foie font toute la gravité de la maladie. Le syndrome d’Ophélie n’accompagne pas toujours la maladie de Hodgkin. Il s’agit d’un syndrome neurologique paranéo- plasique, le terme « paranéoplasie » correspondant aux anomalies sans relation directe apparente avec un cancer, se manifestant à distance de la zone de développement de la tumeur.
UNE HISTOIRE DE NEUROMÉDIATEURS
La maladie de Hodgkin agit sur la synthèse de certaines molécules, comme les anticorps antirécep- teurs glutamate de type 5 (anti- mGluR5). Or, le glutamate est un acteur important de l’activation entre les synapses (terminaisons nerveuses des neurones). Il va en effet se fixer sur des récepteurs dé- diés. Ce sont les anticorps synthéti- sés lors d’une maladie de Hodgkin et dirigés contre les récepteurs qui perturbent l’activation neuronale et provoquent les troubles neuro- logiques observés lors d’un syn- drome d’Ophélie. D’autres can- cers peuvent ainsi s’accompagner de manifestations neurologiques, comme certains cancers ovariens, ou certaines infections virales. Le syndrome d’Ophélie est une encéphalite dite « auto-immune » dans laquelle les anticorps fabri- qués par l’organisme se retournent contre lui.
Y PENSER...
Le syndrome d’Ophélie est très rare, d’où la difficulté d’y penser systématiquement devant de tels troubles neurologiques, d’autant
qu’ils sont assez peu spécifiques, notamment lorsqu’ils surviennent à l’adolescence, une période trouble de la vie. D’où l’intérêt pour le dia- gnostic de penser au dosage des anticorps anti-mGluR5 devant un tableau neurologique compatible avec une maladie de Hodgkin.
... POUR UN TRAITEMENT PRÉCOCE
Le syndrome d’Ophélie est un signe avant-coureur de maladie de Hodgkin. Pour gagner du temps et traiter précocement cette mala- die, gage de succès, certains pré- conisent de considérer tout syn- drome d’Ophélie comme étant une encéphalite, jusqu’à preuve du contraire et ce, avant même les résultats du dosage des anticorps.
Dr Daniel Gloaguen
COMPLEXE D’OPHÉLIE
En relation directe avec le comportement d’Ophélie
dans la pièce de Shakespeare, les psychiatres décrivent également un ensemble de symptômes psychiques connus sous le nom de « complexe d’Ophélie » et qui recoupent tous les troubles manifestés par la jeune héroïne, comme
le manque d’estime de soi, l’anxiété, l’incapacité à prendre des décisions et un risque élevé de dépression. Ce tableau concerne essentiellement les jeunes femmes autour de la puberté et n’a aucun rapport avec l’existence d’une maladie de Hodgkin.
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