Page 5 - Programme du concert de Jean-Claude Pennetier au Théâtre des Champs-Elysées
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sans la conscience de la mort. C’est cette conscience de la mort qui rend la vie si forte. Naturellement on peut aller vers la mort conçue comme un anéantissement ou on peut aller vers une mort qui soit une pâque, un pas- sage vers une résurrection, vers une vie en plénitude. Mais quelle que soit notre foi ou notre position, c’est la certitude de la mort qui colore et qui donne tout son poids à ce qu’est vivre. »
Avec Schubert, c’est le chemin qui est le but
« Le Schubert de la Sonate en sol majeur est celui d’une lumière extatique. On sait très bien que Schubert, c’est le musicien du paradis perdu et aussi de la souffrance. Souffrance de savoir qu’il allait vers sa disparition alors qu’il était extrêmement jeune. Il y a chez lui toute cette révolte contre sa finitude prochaine, mais il y a aussi toute la tendresse qui nous le rend si fraternel. Et puis il y cet appel à une lumière qui résolve tous les conflits. Cette sonate est une œuvre qui dit énormément de choses. Jouer ces œu- vres-là et les partager avec un public, c’est au-delà du concert. On ne va pas faire du concert une espèce de cérémonie pseudo-religieuse mais en même temps, on peut inviter ceux qui sont là à une rencontre qui soit autre chose qu’une délectation esthétique : une rencontre avec un compositeur. Et avec nous-mêmes, bien entendu.
Vous savez, le temps de Schubert est un temps qui n’est pas tendu avec urgence vers son accomplissement. Il nous invite à être, à être dans le mo- ment, à être dans quelque chose qui, certes, va aller vers quelque chose mais, comme il a été dit : c’est le chemin qui est le but. Voilà. Schubert, c’est une grande rééducation pour l’homme actuel. Il entre dans une salle de concerts, il a été sur un rythme d’informations, de perceptions contin- ues, très rapides, et tout d’un coup il se trouve face à une musique qui lui dit : « Mais, sois dans le temps présent. On n’est pas pressés. On n’a peut- être même pas grand-chose à se dire si ce n’est apprendre à être là. À être ensemble, à être là. Voilà. » C’est une contestation assez radicale de tout notre rythme actuel que l’on peut ne pas privilégier mais que l’on subit quand même inévitablement.
« Ecoutez et vous vivrez ». C’est une parole du prophète Isaïe. Je pense que hélas on ne prend plus assez le temps d’écouter, au sens pas seule- ment auditif, mais au sens d’être attentif, d’être ouvert à ce qui se passe, d’être réceptif et prêt à oublier le flux du temps qui passe et à se rendre libre pour une rencontre, l’audition d’une œuvre, pour la contemplation. « Ecoutez et vous vivrez » parce que c’est dans ces moments-là que peut se passer quelque chose soit entre des êtres, soit entre des créations, entre des paysages, qui font que l’on s’ouvre à une dimension qui est pleinement « vivre » ».
Propos recueillis par Michel Mollard Mai 2018





























































































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