Page 2 - Une rencontre avec Nobuyuki Tsujii
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  dit-il - et avec qui il joue souvent, que ce soit en Russie ou en Allemagne). Tsujii Nobuyuki, guidé par le chef, s'assoit au piano, en prend la mesure en plaçant ses mains aux deux extrémités du clavier. Ensuite celles-ci n'auront plus besoin de rester en contact avec l'instrument - cette prise de contact initiale leur suffit.
C'est vertigineux, mais là n'est pas l'essentiel.
Après tout, de grands pianistes jouent les yeux fermés. Et combien d'organistes, d'André Marhal à Helmut Walcha, en passant par Braille lui-même, ont été aveugles, parfois de naissance eux-aussi. Tout comme on ne parle pas de Beethoven comme d'un compositeur sourd - il entendait la musique mieux que quiconque ! - il ne faut pas parler de Tsujii Nobuyuki comme d'un pianiste aveugle.
Ce qui frappe et émeut chez lui, c'est bien autre chose : c'est la pureté de sa relation à la musique. Il la joue avec la lumière d'un enfant - c'est-à- dire d'un sage -, sans arrière- pensées, sans cette volonté de paraître, de montrer ou de prouver qui finit par être fatale aux plus grands musiciens, mais en même temps avec un engagement total.
La musique est sa vie.
Quand, en ce début février, nous échangeons à bâtons rompus avec lui et son fidèle assistant, Asano Naoyuki, nous voyons bien que son visage s'illumine dès que nous en parlons. Beethoven, dont il est en train d'apprendre toutes les sonates, Chopin, Ravel.
Veut-il profiter de son concert au Théâtre des Champs- Elysées pour aller voir - oui
voir - les endroits Chopin a vécu à Paris ? Se rendre à
Montfort-l'Amaury, à la maison de Maurice Ravel ? Un immense sourire transfigure son visage. Le soir, en concerto, la qualité de son échange avec les musiciens, la subtilité avec laquelle ses entrées se fondent dans le son de l'orchestre stupéfient.
Il écoute. Il écoute différemment.
Et c'est pour cela qu'il nous faut aussi l'écouter différemment.
Car il a un secret.
Celui que le Petit Prince de Saint-Exupéry a fait sien : "On ne voit bien qu'avec le coeur. L'essentiel est invisible pour les yeux."
Michel MOLLARD Octobre 2017
Extraits du concert enregistré au Théâtre Mariinksy de St. Petersburg le 8 juillet 2012. Direction : V.Gerviev
 



















































































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