Page 27 - 2006 December Tajan Asian Works of Aert Catalog
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NOTE SUR LA GENÈSE DE LA PORCELAINE « BLEU ET BLANC »
Une pièce telle que cette jarre guan est le fruit d’une double évolution – voire même révolution - tech-
nique et esthétique, dans la céramique chinoise. Technique par l’utilisation de l’oxyde de cobalt qui va
contribuer à ouvrir de nouveaux horizons en matière de décor, et esthétique par l’évolution du goût qui
va progressivement engendrer l’accueil favorable par la Cour, de la porcelaine à décor peint. Un regard
sur la production céramique chinoise antérieure permet de constater que jusqu’alors, dominait essentiel-
lement une certaine sobriété des teintes et des décors (exception faite des sancai de l’époque Tang aux
VIIe et VIIIe siècles), qui trouve son apogée sous les Song. Les décors sont surtout moulés ou incisés, les
glaçures le plus souvent unies, les formes sobres.
L’arrivée des Yuan (1260-1368) va faire bouger les choses. Dynastie étrangère, d’origine mongole, elle va
raviver les contacts entre la Chine et le reste de l’Asie. C’est vraisemblablement dans ce contexte d’é-
changes, dans une Asie unifiée sous la domination mongole, que fut introduit à Jingdezhen, grand cen-
tre de production céramique de Chine du sud, le pigment bleu d’oxyde de cobalt. Importé d’Iran où il
était utilisé pour la décoration des céramiques, il avait déjà fait une apparition en Chine sous les Tang,
avec les glaçures plombifères des sancai.
Dans ses débuts, la porcelaine bleu-et-blanc a surtout été destinée à l’exportation pour des raisons éco-
nomiques, Jingdezhen ne bénificiant pas encore du patronage impérial et d’économie, car la technique
permettait une production en masse. L’oxyde de cobalt a en effet le mérite de pouvoir être appliqué direc-
tement au pinceau sur la terre crue, ensuite revêtue de la couverte, qui devient brillante et translucide au
cours de la cuisson unique que subit la pièce. La couleur bleue du cobalt se révèle pleinement à la haute
température de cuisson de la porcelaine et permettait ainsi d’éviter les cuissons successives nécessaires
aux émaux polychromes plus sensibles aux températures élevées.
Après les premiers tâtonnements au niveau du rendu de la couleur et du décor, l’habilité des potiers chi-
nois va permettre une rapide maîtrise de la technique et l’exploitation de décors de plus en plus riches et
variés pour des pièces de haute qualité.
On date l’apparition des premiers bleu-et-blanc au tout début du XIVe siècle. La première pièce connue
datée avec certitude est un vase couvert à décor de rinceaux de pivoines, découvert dans une tombe du
Jiangxi datée de 1319. On y dénote encore une certaine maladresse de la couleur et du décor. Trente
ans plus tard, la paire de vases d’autel conservée à la Percival David Foundation de Londres, datée 1351
par une inscription, témoigne déjà de l’avancée du savoir-faire des potiers.
Au milieu du XIVe siècle, le répertoire décoratif est déjà riche et le style se caractérise par un naturalisme
et une vitalité qui feront place, dès le XVe siècle à un style plus conventionnel. Ces pièces sont très pri-
sée au Moyen-Orient où se constituent d’importantes collections, telles celle d’Ardebil en Iran. Il est
d’ailleurs significatif, à cet égard, que la plus importante collection de porcelaines bleu-et-blanc connue
soit constituée par les quarante-et-une pièces conservées au Topkapi Saray à Istanbul.
Ainsi, avec l’apparition de la porcelaine bleu-et-blanc sous la dynastie des Yuan, sont posées les fonda-
tions de la production céramique chinoise des siècles à venir. En effet, bien que cette porcelaine n’ait pas
encore ses entrées officielles à la cour, qui continue à lui préférer des pièces plutôt monochromes (notam-
ment les shufu), elle n’aura pas longtemps à attendre.
Dès le début du XVe siècle, deux empereurs Ming, grands patrons des arts, Yongle (1403-1424) et
Xuande (1426-1435) vont lui conférer ses lettres de noblesse. Avec eux, la porcelaine à décor peint, que
ce soit en bleu sous couverte ou en polychromie, va faire une entrée triomphale à la cour impériale où sa
popularité ne se démentira plus au fil des siècles.
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