Page 48 - L'OR Magazine /10 ANS
P. 48

                     48
Numéro 18
Eté 2019/Saison 6/Episode 18
Le Cailar
Le Marquis
Folco de Baroncelli Javon
Au XIXème siècle, un jeune aristocrate venu d’ailleurs apportera à une Camargue encore méconnue ses lettres de noblesse. Profondément attaché et viscéralement engagé, il montrera la voie aux camarguais et aux manadiers en particulier, pour fédérer, codifier, sélectionner et défendre leur culture. Une vie en deux parties, qui commence le 1er novembre 1869 et dont il est célébré le 150 ème anniversaire de sa naissance cette année, et une autre où il s’installe définitivement aux Saintes- Maries-de-la-Mer à l’âge de 26 ans.
Son engagement, sa passion, sa vision et sa détermination font que la Camargue lui doit, l’essentiel et le principal ...
    La Place de la Canourgue
Impossible de passer à côté sans s’y arrêter, impossible de s’y arrêter sans ressentir à la fois le poids de l’histoire de la ville et en même temps une légèreté qui rend le lieu bucolique voire romantique. Le charme opère immédiatement, cette place est vraiment un lieu à part... Même si elle est parfois un peu maltraitée du point de vue de ses amoureux ...
En plein centre historique de Montpellier, voisine du Palais de justice, de l’Arc de Triomphe, de la cathédrale St Pierre et de la faculté de médecine, entre quartiers populaires et avenue chic, elle est une véritable respiration pour ceux qui s’y attardent.
En 1129, sur l’ordre de Guilhem VI, y fut construite une petite chapelle pour déposer un morceau de la vraie Croix et autres reliques ramenées de Terre Sainte. Détruite, reconstruite, redétruite, jusqu’à la renaissance. En 1855, le maire de l’époque, David-Jules Pagézy, y fit transférer la fontaine des Licornes de Jacques Donnat et d’Etienne Dantoine (créateur des 3 Grâces, voir L’OR Magazine n°14) qui trônaient sur l’actuelle place Jean- Jaurés, en l’honneur de Charles Eugène Gabriel de La Croix, Maréchal de France et marquis de Castries. En 1867, il fut décidé la création du square.
En 1964, lors de travaux, des fouilles révèlent pierres tombales et ossements humains.
On y trouve l’hôtel Richer de Belleval,(mort en 1632 et qui créa le célèbre jardin des plantes de la ville Boulevard Henri IV), qui devint Hôtel de Ville jusqu’en 1975, puis annexe du palais de justice et abrita le conseil des prud’hommes jusqu’en 2010. On peut admirer à l’angle des rues du Palais des Guilhem et de la Coquille, cette réalisation unique de 1630 : «La Coquille». Mais aussi , le bel Hôtel de Sarret, la rue Sainte Croix (où habita le Maréchal FOCH) et l’illustre hôtel de Cambacérès du 18ème et sa cour privée remarquable. Du square, admirez la cathédrale, son double porche et ses tours a baldaquin.
En remontant de la Cathédrale, en direction de la place, l’inclinaison est telle qu’elle vous permet d’admirer son mur de soutènement et les contre-marches. Levez les yeux, chaque détail compte, et sur la place, prenez le temps de vous asseoir à une terrasse à l’ombre des platanes, imprégniez-vous de cette douceur bucolique et même si vous n’êtes que de passage, prenez-vous pour un vrai Montpellierain ...Son nom: Canourgue, est issu de l’occitan «Canorga» (chanoine).
Proclamé «Coeur de la Bouvine»,on pourrait penser que ce titre pompeux pour un si petit villageperduaufonddelaCamargueGardoise, ou devrais-je dire de la «Vistrenque» est une façon comme une autre de s’approprier une culture, et de s’autoproclamer, comme il n’est pas rare de le constater ... Mais vous verrez que malgré ses apparences de bout du monde, LE CAILAR, par son histoire, par sa situation, par la magie des rencontres des eaux ou des hommes, n’est pas un lieu comme les autres...
Rien ne le distingue à première vue des autres villages ... une église romane, un temple, quelques commerces, des arènes, un café, des marais, des prés, des manades de taureaux, des chevaux, jusqu’ici et pour le territoire, rien de très original. C’est sûrement que vous n’avez-pas prêté attention à une stèle où s’entrecroisent deux tridents et une cocarde verte et rouge, au rond point, à l’entrée du village... Revenez sur vos pas et lisez bien la plaque : «Aficionados, ici est enterré «le Sanglier» de la manade F.GRANON COMBET» 1916-1933. Hernest Hemingway, de passage dans la région a même souhaité faire le détour pour le constater. Un village où l’on célèbre avec autant de ferveur un taureau au point de lui donner telle sépulture, n’est pas un village comme les autres, vous entrez ici en terres sacrées ...Son nom vient de »Castellus» (675)
C’est aussi le village de coeur de Jean LAFONT, jet seteur, dandy, artiste, botaniste, collectionneur, fou du volant, fantasque, complexe, égocentrique, voyageur, amant irrésistible, ...?
Il faudra un peu plus que du talent pour séduire les Cailarens, pour ce jeune homme né en Indochine et débarqué chez son grand père , notaire à Aimargues. Pour les gardians et manadiers, son l’allure, son ambition, ses relations, son extravagance pouvaient dénoter et sembler être une marque de suffisance, ce qui ne le dérangeait pas, au contraire, il aimait entretenir ce sentiment qui porte à «tchatcher».
Pendant la guerre, il passa un moment en Camargue, puis à Nîmes dans le cabinet d’avocat de Bernard de Montaut-Manse (qui était propriétaire du Mas des Hourtès au Cailar, ami du Marquis de Baroncelli, Président de la Confrérie des Gardian et grand défenseur de toutes les tauromachies) avec lequel il développa sa passion. Puis se présente à lui l’occasion de racheter la plus célèbre manade de Camargue de l’époque.
C’est ici que le manadier invita, loin de tout, le gotha et la jet set du moment : Cocteau, Bernard Buffet, Carole Bouquet, Alain Delon et Romy Schneider, le Président Doumergue, le peintre Viallat, le sculpteur César, Christian Lacroix, Jean-Pierre Coffe, Combescot, Jean Carmet mais aussi Eric de Rothschild, Régine ,Eddie Constantine, Manitas de Plata, Brialy ou la famille Kennedy... Sa folie, son extravagance le pousse même un jour à créer l’impensable... Une discothèque au milieu de rien, un lieu qui reste encore aujourd’hui une référence, monument des nuits camarguaises mais pas que: La «Chu», où artistes, peoples et anonymes se côtoient aisément.
C’est en février 1895, que le jeune marquis Folco Baroncelli de Javon, va renoncer à sa douce vie avignonnaise pour se consacrer, aux Saintes Maries de la Mer, à une existence empreinte de ferveur et d’engagements. Il s’installe en Camargue où il crée la « Manado Santenco » aux Saintes Maries de la Mer. En 1909, il crée la Nacioun Gardiano et participe activement à la codification de la Course Camarguaise naissante et donne ses lettres de noblesse au Gardian et par delà, il contribue à véhiculer l’image de la Camargue par son sens de l’accueil des touristes et de l’art du spectacle.
Il cumule les activités littéraires et celles de l’élevage, considère très tôt l’art de la sélection animale et conjointement celle des taureaux et des chevaux Camargue en vue d’en purifier la race. Tous les témoignages insistent sur la grande humanité et la générosité de cet homme comme ses prises de position en faveur des minorités opprimées. Il défend les Gitans pour qui il obtient en 1935 le droit d’honorer publiquement leur patronne Sara.
Il défend la cause des indiens d’Amérique du Nord qu’il rencontra grâce à son ami , Buffalo Bill venu en spectacle à Nîmes, mais aussi les Boers, les vignerons et la langue provençale.
Il est à l’origine de la création de la symbolique croix de Camargue. Un engagement pour la vie gardiane qui convenait parfaitement au sang noble qui coulait dans ses veines.
« Le Chevalier de la Camargue » décédera le 15 décembre 1943 en Avignon, « au Nord », loin de sa terre d’élection.
«Zinkala Waste», comme l’avaient surnommé les Indiens, fut couché dans son cercueil, chaussé de ses mocassins (don de ses amis Sioux).
Et cet homme exceptionnel et visionnaire entra dans la légende...
s
e
i
r
e
A
a
2
v
i
n
-
n
r
e
è
0
2
5
1
0
2
m
5















































   46   47   48   49   50