Page 43 - TU Juin 2020
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Constant Malva (1903-1969) aura été le   » et ce qu’on appellera plus tard en se basant
       plus remarquable représentant de ce qu’on   parfois sur ses écrits l’HABITUS MINIER. Et ça
       appelait la littérature prolétarienne entre les   marche ! Il trouve des relais en France et en
       deux guerres mondiales au siècle dernier.   Belgique. Des intellos proches du monde ou-
       Autant dire à la préhistoire.       vrier réel ou fantasmé, un peu comme nos bo-
          Entre la bataille de Waterloo (1812) et   bos qui parlent du peuple à partir des beaux
       celle de Stallngrad (1942) le monde a à   quartiers dans les « coquetèles de gôche ».
       peine changé, mis à part les inévitables pro-  Mais aussi des vrais compagnons de route :
       grès techniques (y compris guerriers). Entre   Charles Plisnier (un voisin), Albert Aygues-
       1942 et 2020 nous avons changé de galaxie   parse (un instituteur), Marcel Parfondry (un
       culturelle. Plus rien de cette époque ne parle   autre instituteur) Henry Poulaille (un écrivain
       aux ados d’aujourd’hui et seuls les ancêtres   prolétarien seul dans la vie à 14 ans Il connaît
       comme l’auteur de ces lignes et les quelques   la chanson celui-là...). Quelques autres le sou-
       ceux qui les liront jusqu’au bout en extrairont   tiennent, l’encouragent, comblent son déficit
       la substantifique moëlle.           d’image. Et pendant 10 ans, de 1930 à 1940,
          Il n’y a là aucun jugement moral ni regret   il va réaliser la performance d’écrire une di-
       nombriliste ni auto-satisfait du style « tous des   zaine de livres tout en travaillant « à fosse »
       crétins ignares... heureusement je suis là »   comme bouveleur « creuseur de galeries »
       mais c’est une évidence : la reconnaissance   des grands-prés à 35 ans selon l’adage po-
       littéraire n’est pas éternelle et elle ne brise   pulaire.
       pas les cadres culturels pré-établis par la Sa-
       cro Sainte Société des Lettres et des Cultu-
       reux de tout bord. Quand Alphonse Bourlard,
       mineur de fond, borain, peu scolarisé, prend
       un stylo et se met à écrire « Histoire de ma
       mère et de mon oncle Fernand » en 1929, il
       sait qu’il transgresse les codes qui unanimes
       proclament qu’une « main calleuse ne pour-
       ra jamais écrire ». ll les transgresse parce qu’il
       les ignore et donc il s’en moque et se per-
       suade sans peine que sa parole en vaut une
       autre, surtout si il parle de ce qu’il connaît à
       fond depuis son enfance : la mine, la « fosse


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