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C’est ton vrai nom ? Partie 1




                    Q       u’est-ce qu’un vrai nom ? Je vous préviens, je suis bavard, alors asseyez-vous confortablement, permettez-moi de vous servir un

                            verre de vin et de mettre un peu de jazz.



                    Ce sont des questions auxquelles je n’aime pas vraiment répondre, mais j’ai enfin l’occasion de rétablir la vérité une bonne fois pour
                    toutes. Tout le monde pense connaître mon nom… et ce n’est pas Nain Tracassin, car je ne sais pas transformer une paille en or. La vérité,
                    c’est que… je ne sais pas vraiment qui je suis. J’ai découvert tardivement que mon père n’était en réalité pas mon père. Pire encore, ma
                    grand-mère m’a un jour présenté l’avis de décès officiel de ma sœur « Chiquita », qui est morte alors que j’étais encore bébé. Sur son avis
                    de décès étaient détaillés les noms de tous mes frères et sœurs, y compris le mien : « Ondra », ce qui signifie « homme, mari » et « viril et
                    fort, courageux et guerrier ». Mon acte de naissance a été enregistré le 23 janvier 1967, puis amendé le 16 août 1971, quatre mois après le
                    décès de ma mère.


                    D’où vient le nom « Adu Jahmal » ?

                    D’où vient le nom « Adu Jahmal » ? Pour répondre à cette question, il faut replonger dans mon enfance. N’essayez pas de vous mettre à ma
                    place… c’est trop douloureux. J’ai grandi dans un foyer où les enfants avaient tous la même mère, mais des pères différents. Ma mère était
                    une vraie Southern belle, une beauté typique du Sud, et tous les hommes de la ville la convoitaient. Ses enfants en étaient la preuve. La
                    rivalité fraternelle était alors féroce. Mes frères aînés avaient la peau bien plus foncée que moi, ce qui m’a valu le surnom de « petit Blanc
                    ». J’étais vraiment un sale Blanc à leurs yeux. Encore aujourd’hui, les enfants de mon quartier m’appellent « petit Blanc ». J’encaissais les
                    insultes parce qu’elles me rendaient plus fort et que je bottais des culs.


                    Mais un évènement a marqué un tournant décisif dans la construction de mon identité. Cet évènement s’est produit dans la classe de
                    Madame Miller pendant le Black History Month, le mois durant lequel sont célébrées les contributions des Afro-Américains à l’histoire
                    du pays. Madame Miller était une enseignante blanche à l’école Anthony Overton, à Chicago. Avec du recul, je me rends compte que
                    Madame Miller était l’une des rares enseignantes à éprouver de la sympathie pour la culture afro-américaine. À l’occasion du Black
                    History Month, Madame Miller avait décidé de nous montrer un film sur Dr Martin Luther King. Je me souviens encore de l’excitation
                    que j’ai ressentie lorsque le documentaire a commencé. Celui-ci retraçait la vie du pasteur de sa jeunesse à son engagement dans le
                    mouvement des droits civiques… jusqu’à son assassinat. Dans la classe, l’excitation s’est transformée en tristesse, puis en colère.
                    Lorsque Madame Miller a rallumé la lumière pour engager une discussion, une des élèves, que je trouvais très belle par ailleurs, s’est
                    tournée vers moi en pleurs et m’a lancé : « Dr King était un grand homme, mais un sale Blanc comme toi l’a tué ! » Puis, elle m’a craché au
                    visage. C’est quoi ce bordel ? Qu’est-ce que j’avais à voir avec la mort de Martin Luther King ? J’avais assez de problèmes comme ça avec
                    la mort de ma propre mère… Cet évènement m’a préparé pour ma vie d’adulte.


                    Les Noirs ne m’ont jamais permis de me sentir noir. Peu importe l’amour que je portais à l’histoire afro-américaine, peu importe le respect
                    que je témoignais à la culture noire… Toute ma vie, j’ai été mis à l’écart.

                    Puis, un mec de Brooklyn a réalisé un film sur un homme métis qu’étrangement, les Noirs aimaient. J’ai pensé qu’ils l’aimaient parce
                    qu’il avait changé de nom. C’est devenu à la mode. Petit à petit, tous mes frères noirs ont commencé à changer de nom. J’y ai vu une
                    occasion de m’intégrer et de mettre en avant ma négritude. J’ai beaucoup appris de la religion musulmane. Elle m’a inculqué la discipline,
                    ce qui m’a permis d’avancer dans mes projets et d’accomplir ce que je voulais accomplir. Mais faire partie d’un groupe ne m’intéressait
                    pas. Je suis un électron libre et j’avais obtenu ce que je voulais : un nouveau nom. Malheureusement, porter un nom noir n’a pas suffi à me
                    faire une place dans la communauté afro-américaine.

                    Alors que je participais à un déjeuner organisé par Upper Bound, une organisation qui rendait hommage à des étudiants brillants du monde
                    universitaire, j’ai aperçu une femme sublime pénétrer dans l’hôtel. Elle portait une tenue Chanel très chic. J’allais prononcer son nom
                    lorsqu’elle s’est approchée de moi et m’a donné un baiser. C’était Coretta Scott King.
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