Page 30 - Lux in Nocte 4
P. 30
La guerre n’est plus qu’un souvenir. A quelques distances pourtant, le mémorial
s’impose et les plantations de croix se répondent par deçà la vallée. C’était il y a bien
longtemps, au temps des patriotismes, les soldats se répondaient de chaque côté des
tranchées. Le feu répondait au feu, le tonnerre semblait infini. Et les hommes
tombaient, et les larmes coulaient. Dans cet enfer la vie a disparu.
Les lavoirs délaissés scandent le décor
jadis animés des jeux des enfants morts
comme il fait bon s’arrêter aux sources
pour écouter leur chanson triste.
Les canons se sont tus. Les commémorations se sont épuisées, les souvenirs sont
restés. Pour la mémoire, les musées se sont bâtis sur les ruines. Les reconstitutions
ont reproduit l’effroyable charnier et ont affiché la douleur que personne n’a pu
éviter. Il reste encore, enfouis dans la terre meuble, les armes rouillées, les morceaux
de ferrailles de ces baïonnettes fatales ou de ces casques inutiles. Il reste aussi dans
chaque famille l’absence d’un des leurs.
A mi-chemin, l’église posée sur la pierre
révèle au creux de ses flancs un cimetière
30 pieusement agrandit au fil des décennies
des fils et filles de la patrie.
C’était un village accroché à son église, perdu dans l’intensité des champs. La vie y
serpentait au rythme des saisons et suivait le lent déplacement des troupeaux. Le
bétail vivait d’un pré à un autre, de l’étable d’en bas à celle d’en haut, cheminant sur
l’étroite route principale. Abandonnant leurs épées de bois, les enfants se reculaient
pour laisser les bovins défiler sagement, humant l’herbe folle bordant le caniveau. Le
fermier et son chien fermaient le cortège. A l’heure de la traite, chacun prenait sa
place dans l’immuable tradition agricole. Le soir allait bientôt se refermer sur les
bruits sourds du charron et le ronronnement des roues des tombereaux. Les poules
rentrées au son des onomatopées et les étables fermées, dans la cuisine aveugle les
ménagères s’affairaient en remuant les casseroles. Dans chaque maison la ferveur des
tablées s’animait autour de la soupe fumante. Même harassée par le labeur journalier,
la famille semblait oublier l’effort fourni qui s’estompait dans les veillées autour de la
partie de belote. On se réunissait entre amis pour des moments ludiques. Le café et
le vin rouge servis dans les verres transparents se levaient au gré des exclamations :
« Alors voisin, c’est à vous… à qui le tour ? … valet d’atout et dix de der ! on a encore
gagné ! … allez, on fait la belle et on rentre… tiens l’Hélène, va donc coucher le piot,
il s’endort sur la chaise ! » Les conversations, la bonne humeur et les rires allongeaient
les soirées.