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d’art & d’histoire
Le culte des Vierges noires
La France est le pays qui en compte le plus. Elles sont inégalement réparties mais présentent dans la plupart des régions françaises, toutefois la concentration la plus significative se situe en Auvergne. Les plus anciennes datent du XIe siècle et c’est au milieu du XIIe siècle qu’elles deviennent un emblème puissant de la foi chrétienne. Étrangement, elles disparaissent tout aussitôt.
À leur sujet, une multitude de références possibles alimentent des débats plus ou moins sérieux, oscillant entre traditions chrétiennes, pensée ésotérique ou encore New Age. Les statues que nous conservons aujourd’hui présentent des similitudes : La Vierge est toujours représentée en majesté et trône souvent dans une chapelle encombrée d’ex- voto accumulés au fil des siècles.
Tout d’abord, il existe une multitude de légendes sur leur « découverte ». La représentation de la Vierge choisirait le lieu ou le moment qui lui convient. Il serait alors impossible de la transporter ou encore, si on la déplace en ville, elle s’échapperait la nuit pour retourner dans la nature... Pour couper court à ces comportements inexplicables, les ecclésiastiques du Moyen Âge finirent par construire un sanctuaire sur le lieu même de la découverte, un gage d’immobilité et de satisfaction de la statue.Toutefois, chacun s’accorde à noter qu’il existe des similitudes entre l’iconographie fixée au Moyen Âge et celle se rapportant aux divinités antérieures au christianisme. Ce syncrétisme (assimilation des cultes
précédents) étant fréquent, il est aisé de reconnaître les correspondances iconogra- phiques qui traversent le temps et les religions.
La « Mère », qu’elle soit déesse ou Vierge Marie est un symbole absolu de fécondité, de protection, de médiation, de fidélité, d’amour inconditionnel. Les trois Matres gauloises, Cibèle la Romaine, Perséphone la Grecque ou encore Isis l’Égyptienne en sont les plus célèbres modèles.
L’Auvergne recèle la majorité des vierges romanes de France.
Certaines sont des Vierges-reliquaires, comme Notre- Dame-du-Puy (disparue) et Notre-Dame de Rocamadour.Au total, elles sont une douzaine dans le Puy-de-Dôme et une dizaine dans le Cantal.
À Clermont-Ferrand, la légende de Notre-Dame du Port fait remonter la statue de la Vierge aux débuts de la chrétienté. Celle présentée dans la crypte est une copie de 1734 réalisée en noyer peint et inspirée desVierges de tendresse byzantines. Dès le début du XVIIe siècle, une procession à la Vierge noire souterraine de Notre-Dame du Port attire les fidèles.
Enfin, dans la cathédrale, trône une Vierge noire curieusement nommée Notre-Dame-de-la-Bonne-Mort (photo). Elle aussi est une copie d’une Vierge reliquaire richement ornée du Xe siècle. Détruite et fondue pendant la Révolution, celle- ci fut retrouvée en 1972 dans le tombeau d’un évêque qui s’était fait enterrer avec elle. C’est ce qui explique son nom : Notre-Dame-de-la-Bonne-Mor t. u
Sa posture est hiératique
et frontale. Volontairement
peintes en noir, elles sont
souvent réalisées en bois ou
ornées de plaques de métal.
Elles portent l’Enfant Jésus
sur ses genoux. Il a le visage d’un adulte, l’adulte qu’il deviendra. En effet, pour l’art religieux le temps divin est différent de celui de l’humain. Il n’a pas besoin de chronologie. Marie ne dégage pas de sentiment car elle est là pour inviter à un « mystère », celui du sacré. « L’âge de la Vierge de majesté était un âge abstrait, comme l’âge de la Résurrection », disait André Malraux.
Ainsi, un culte empreint de religieuse déférence s’est développé au Moyen Âge. Objets de vénération lors des pèlerinages, les Vierges étaient systématiquement recouvertes d’un manteau qui ne laissait apparaître que leur visage et leurs mains.
Pour certains, c’est le contact répété avec les mains des pèlerins qui expliquerait la couleur. Ce n’est autre que la saleté ajoutée aux fumées des cierges qui les auraient toutes rendues noires... Cette explication satisfait les sceptiques qui poursuivent en expliquant que, dès le XVIe siècle, elles auraient toutes été repeintes en noir pour les uniformiser.
Pour d’autres, certes moins pragmatiques, elles ont une origine chargée de mystère.
afjet - Carnet de Voyage n°23 - Hiver 2023 association française des journalistes et écrivains de tourisme
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