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risque de réplique et de toute menace de sa propre destruction.
 de lancer une offensive nucléaire, afin de se débarrasser de tout
 frappe. Dans ces conditions, tout État pouvait donc être tenté
 conflit nucléaire, s’il pouvait être détruit lors d’une première
 risquait même au contraire d’inciter à une agression et à un
 un  arsenal  nucléaire  n’avait  aucun  pouvoir  dissuasif,  voire
 probabilité de signer son propre arrêt de mort. À première vue,
 armes nucléaires pour défendre son territoire, en dépit de  la
 tentèrent de décortiquer la logique sous-tendant l’usage des
 années  1950, quelques-uns des meilleurs cerveaux du  monde
 fondamental : « La capacité de seconde frappe ». Au cours des
 •  La Guerre Froide vit l’apparition d’un concept
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 Nord risquait d’être entièrement éradiqué. »
 d’un tel surarmement que « s’ils l’utilisaient, l’Hémisphère
 détracteurs du nucléaire de l’époque, les Russes étaient pourvus
 conventionnelles soviétiques. Pour reprendre les termes des
 parfaitement conscients de la puissance des armes non
 sur la supériorité de l’arsenal américain, tout en étant
 analystes américains du renseignement n’avaient aucun doute
 États-Unis disposaient d’environ 18 000 armes nucléaires. Les
 Unis. Lorsqu’Eisenhower céda la présidence à Kennedy, les
 disait à l’époque la communauté du renseignement des États-
 modeste, il n’en était pas moins immense, à en croire ce qu’en
 considérable. Quant à l’arsenal soviétique, bien que plus
 •  En 1960, l’arsenal nucléaire des États-Unis était
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 terrestre ou sur un porte-avions.
 sous l’aile de chasseurs-bombardiers positionnés sur une base
 simples bombes à TNT, et pouvaient facilement être placées
 puissantes,  mesurant  1 mètre de long, avaient la forme de
 Au moment de la Crise des missiles, des bombes vingt fois plus
 exploser, une équipe d’experts avait dû travailler plusieurs jours.
 qu’elle soit chargée à bord d’un avion et programmée pour
   LA  MAIN  CACHEE
 mesurait 3 mètres de long et pesait près de 5 tonnes. Pour
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       270  271 La crise des missiles de Cuba  14                Une pluie battante  Le monde a été menacé de destruction en 1962, juste lors de la   « Hachem dit : “J’effacerai l’homme que J’ai créé de la surface de   Pendant « la Crise des missiles », Kennedy savait qu’il devait   du Maboul. Ils avaient également prévu de positionne
 envahie,  l’Amérique, liée  par un  traité, aurait de  nombreuses   Robert Kennedy prit congé de l’ambassadeur russe, ne sachant   En mars 1946, Winston Churchill résuma la situation en ces
 raisons de défendre cette ville. Risquait alors de s’ensuivre une   s’il avait réussi à le convaincre. Lui et beaucoup d’autres   termes : « De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l’Adriatique, un
 guerre, probablement nucléaire.  s’attendaient à se réveiller le lendemain matin – si toutefois ils se   rideau de fer est descendu sur le Continent [européen.] »
 Pendant que Kennedy et ses conseillers débattaient du     LA  MAIN  CACHEE  réveillaient – en pleine « guerre apocalyptique ».   Ce « Rideau de Fer » marqua le début de la Guerre Froide.
 problème, le monde était soigneusement tenu dans l’ignorance. Or,   Mais  heureusement,  à  l’aube  du  dimanche  28  octobre,  se
 chaque jour qui passait, les missiles risquaient de devenir   répandit la bonne nouvelle que Khrouchtchev avait fait une
 opérationnels. Et si cette situation se produisait, l’opération   déclaration sur Radio Moscou. Les Soviétiques, avait-il annoncé,   ·   Des bombes, des bombes et encore
 militaire américaine deviendrait infiniment plus dangereuse.  allaient démanteler leur arsenal nucléaire à Cuba. Khrouchtchev      des bombes
 Kennedy opta finalement pour une mesure risquée consistant à   aurait pu signaler que les États-Unis se pliaient aux exigences
 imposer un blocus sur Cuba. Or historiquement parlant,   exprimées dans la seconde lettre, mais il n’en fit rien. La guerre   En 1949, l’Union soviétique effectua un essai nucléaire en faisant
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 l’instauration d’un blocus correspondait à un acte de guerre. C’est   avait été évitée de justesse.   exploser sa première bombe atomique.  En 1953, peu avant la mort
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 pourquoi il lui préféra le terme de « mise en quarantaine », laissant                             de Staline, la Russie fit exploser sa première bombe à hydrogène
 ainsi aux Soviétiques une chance de démanteler les missiles et de                                 dont la puissance était presque 500 fois supérieure à la bombe
 quitter Cuba. Cette décision était dangereuse et incompréhensible   ·   Commentaires sur Kennedy  ayant rasé la ville japonaise de Nagasaki. Parallèlement, ils mirent
 pour certains militaires, car elle ôtait toute possibilité d’une                                  au point des missiles intercontinentaux perfectionnés, capables de
 attaque-surprise. En effet, dès que Kennedy prononcerait le terme   La manière dont Kennedy géra la Crise des missiles de Cuba est   porter des ogives nucléaires.
 de « mise en quarantaine », les Soviétiques se mettraient en état   considérée par bon  nombre  d’experts comme étant  le point   En  1957, les  Russes réussirent  le lancement dans l’espace  du
 d’alerte maximale vis à vis d’une action militaire américaine.  culminant de son mandat présidentiel. L’épisode de « la Baie des   satellite Sputnik, ce qui déclencha un vent de panique aux États-
              Cochons » lui avait appris à qui faire confiance, et comment                         Unis. En effet, non seulement l’Union soviétique pouvait
 Cependant, Kennedy ne pouvait garder éternellement le secret.   s’entourer de conseillers dans ses prises de décision.  Pendant cette
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 Quelques jours après le début de la crise, les grands journaux du   crise, Kennedy fit la plupart de ses choix en s’inspirant du livre de   construire des missiles capables de frapper partout dans le monde,
 pays eurent vent de la situation. Mais alors qu’ils étaient sur le   Barbara Tuchman Août 14, titulaire du Prix Pulitzer, traitant des   mais Sputnik prouvait que les Russes avaient dépassé les États-
                                                                                                                                                      4
 point de publier le scoop, Kennedy les devança et s’adressa lui-  causes sous-jacentes de la Première Guerre mondiale.  Unis dans le domaine de la technologie des missiles.  Cette
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 même à la nation.
                 « La Première Guerre mondiale, déclara-t-il, est survenue en                      et contribua à l’escalade de la course à l’armement nucléaire jusqu’à
              raison d’une série d’incompréhensions des intentions du camp                         un point de non-retour. 5
 ·   La phase publique  adverse. » L’entêtement inflexible des dirigeants de cette époque             Les citoyens des deux pays se préparèrent à une Troisième
              plongea l’humanité dans un conflit sanglant qui aurait pu être                       Guerre mondiale. Les écoles enseignèrent aux enfants les normes   La crise des missiles de Cuba
 Une fois la crise devenue publique, la tension monta. Aucun camp   évité.                         de sécurité civile, leur expliquant la conduite à suivre en cas
 ne voulait la guerre, mais chacun s’y sentait acculé. Le 24 octobre,   La Seconde Guerre mondiale, en revanche, évolua de la sorte,   d’attaque nucléaire. Les choses allèrent si loin que même au sein de
 des navires marchands soviétiques (apportant peut-être des missiles   notamment car les conciliateurs comme Neville Chamberlain se   la population, les propriétaires se mirent à construire des abris
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 supplémentaires) s’approchèrent de la ligne de blocus. Les navires   plièrent aux exigences d’Hitler.  Les chefs politiques de l’époque   anti-bombes dans leur jardin. La Troisième Guerre mondiale qui
 de guerre américains envoyés dans leur direction repérèrent   péchèrent par excès inverse : ceux qui avaient le pouvoir de   menaçait d’éclater serait la « guerre ultime », celle qui ne laisserait
 La crise des missiles de Cuba
                                                                                                   à aucun camp la moindre chance de victoire, ni même de survie.
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          La crise des missiles de Cuba  14                      Une pluie battante  Le monde a été menacé de destruction en 1962, juste lors de la   « Hachem dit : “J’effacerai l’homme que J’ai créé de la surface de   Pendant « la Crise des missiles », Kennedy savait qu’il devait   du Maboul. Ils avaient également prévu de positionne
 risque de réplique et de toute menace de sa propre destruction.
 de lancer une offensive nucléaire, afin de se débarrasser de tout
 frappe. Dans ces conditions, tout État pouvait donc être tenté
 conflit nucléaire, s’il pouvait être détruit lors d’une première
 risquait même au contraire d’inciter à une agression et à un
 un  arsenal  nucléaire  n’avait  aucun  pouvoir  dissuasif,  voire
 probabilité de signer son propre arrêt de mort. À première vue,
 armes nucléaires pour défendre son territoire, en dépit de  la
 tentèrent de décortiquer la logique sous-tendant l’usage des
 années  1950, quelques-uns des meilleurs cerveaux du  monde
 fondamental : « La capacité de seconde frappe ». Au cours des
 •  La Guerre Froide vit l’apparition d’un concept
 Nord risquait d’être entièrement éradiqué. »
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 d’un tel surarmement que « s’ils l’utilisaient, l’Hémisphère
 détracteurs du nucléaire de l’époque, les Russes étaient pourvus
 conventionnelles soviétiques. Pour reprendre les termes des
 parfaitement conscients de la puissance des armes non
 sur la supériorité de l’arsenal américain, tout en étant
 analystes américains du renseignement n’avaient aucun doute
 États-Unis disposaient d’environ 18 000 armes nucléaires. Les
 Unis. Lorsqu’Eisenhower céda la présidence à Kennedy, les
 disait à l’époque la communauté du renseignement des États-
 modeste, il n’en était pas moins immense, à en croire ce qu’en
 considérable. Quant à l’arsenal soviétique, bien que plus
 •  En 1960, l’arsenal nucléaire des États-Unis était

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 terrestre ou sur un porte-avions.
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 sous l’aile de chasseurs-bombardiers positionnés sur une base
 simples bombes à TNT, et pouvaient facilement être placées
 puissantes,  mesurant  1 mètre de long, avaient la forme de
 Au moment de la Crise des missiles, des bombes vingt fois plus
 exploser, une équipe d’experts avait dû travailler plusieurs jours.
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