Page 7 - L'Animal Politique ©atelierrean
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IL EST DES PÉRIODES OÙ PARLER
L’homme de pouvoir, et plus particulièrement
DEVIENT DIFFICILE. Des périodes où les du pouvoir politique était un sujet parfait pour pour-
discussions s’enveniment pour une phrase, un mot. suivre ce travail.
L’animal est souvent au centre de la poli-
Des débats qui éloignent. Chaque période électo-
rale est un moment particulier, où les langues se tique, que l’on discute de son sort comme après une
délient, où les gens se révèlent ou se taisent. Parler vidéo du collectif L214, ou qu’il accompagne les
c’est s’exposer. S’exposer aux désaccords et risquer manifestations des agriculteurs dans Paris. Mais il
est également présent plus discrètement et cepen-
la rupture parfois, tant la distance qui nous sépare
peut-être grande et incompressible.
dant de manière continue dans la représentation des
Parler politique est un sport national qui se politiques. Les discours sont souvent émaillés de
pratique le plus souvent le dimanche midi autour métaphores sur le règne animal, les caricatures en
regorgent, les symboles, les emblèmes également.
d’un gigot familial, ou autour d’une machine à café.
Désormais Il devient très dangereux d’aborder cer- De « Clémenceau le Tigre » à « Churchill le
tains thèmes avec des êtres chers. La politique est Lion », le monde politique est rempli de métaphores
un sujet clivant. Elle l’a toujours été, et c’est ce qui animalières. L’aspect « bestial » de la fonction, le
fait la saveur des débats, qu’ils soient télévisés ou « cirque » de l’Assemblée Nationale, la notion de
improvisés. Maintenant, les débats ressemblent à « meute » des partis politiques, les « éléphants »
des guerres de tranchées. Personne ne bouge. Per- du PS, le panier de crabes, la faune politique, les
sonne ne parle, de peur de découvrir d’affreuses gorilles des services d’ordre. La translation de ces
choses sur l’autre.
hauts personnages dans un domaine non politique
et connu de tous permet de parler immédiatement
Alors, comme parler devenait un risque trop
grand, j’ai fait la seule chose dont j’étais capable. à l’imaginaire.
J’ai créé. J’ai commencé par des portraits d’animaux Loin d’être constantes, les références aux
début 2015, à un moment où je cherchais à renou- animaux en politique tiennent plus de la conjonc-
ture économique et culturelle du pays que d’un
veler mon regard, à dire autrement. Une série s’est
vite dessinée, avec cinq, dix, puis, rapidement, une choix formel, bien que les caractéristiques morpho-
vingtaine de portraits d’animaux. Tous arboraient un logiques de certaines espèces puissent faciliter la
signe, un accessoire qui les humanisaient. J’ai assez caricature ou la métaphore. Ainsi, l’autruche ne sera
pas utilisée pour son long cou ou pour sa capacité
naturellement baptisé cette série « Anthropomor- 5
phisme ». Cet humanisation de l’animal allait tout à courir extrêmement vite, mais pour l’expression
naturellement me mener à sa réciproque, « l’anima- « Faire l’autruche » ou mener une « politique de
lisation » de l’homme.
l’autruche ».