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Mes copines m’appelaient Rose, je devais effectivement être une rose pour elles comme je l’étais pour moi. Ce qu’elles ne comprenaient pas c’est que j’assumais pleinement mon prénom et que j’avais formé ce groupe, Les Bactéries, pour leur rendre service et leur permettre de s’épanouir avec ce qu’elles sont.
Je les ai laissées m’appeler Rose, puisque ça leur faisait tellement plaisir. Rose. Pourquoi pas, m’étais-je dit. Comme si j’étais un personnage héroïque. Ca me plaisait, ça.
Les autres, à l’école, ils avaient toujours du mal, au début de l’année, à m’appeler Salmonella. Les profs, les élèves, la Direction. Au bout d’un moment, et à force de se forcer à le dire, ils se sont habitués à prononcer mon prénom de façon banale.
Mais les Autres, par contre, eux, les méchants, les beaux, les belles, les plus forts, les soi-disant plus intelligents, il y en a qui m’en ont fait baver. Refus de se mettre à côté de moi en classe, de me faire passer le ballon en EPS, de partager ma table à la cantine puis de faire de plus en plus fort en déversant toutes sortes de saletés organiques dans mon cartable, dans mes cheveux, histoire de voir ce que ça ferait, sur une bactérie comme moi. Au collège il y a eu un groupe qui s’est même amusé à faire des affiches A3 informant d’un danger virus bactériologique au sein de l’école et qui donnait la description de ma petite personne. Les cons. Les pions ont mis du temps pour comprendre qu’il s’agissait de moi, la bactérie.
« Ahhh, Salmonella : Salmonelle : le virus bactérien ! Comment n’y avais je pas pensé ! Bah c’est pas grave, on va retirer les affiches personne n’y pensera plus, c’est rien. »
C’est rien, tu parles.
Tous les jours à appréhender l’entrée du hall de l’école, espérant ne pas croiser ces saligauds qui m’attendaient et qui, me voyant apparaître se mettaient à hurler en courant dans le couloir : « La voila ! La sale Bactérie, la Salmonelllaaaaaaahhh ! »
Bonjour l’accueil, tous les matins presque.
Au bout d’un moment j’en ai eu assez et j’ai pris le dessus. Aussitôt franchie la porte de l’école, je me suis mise traverser le couloir en trombe vers ma salle de classe en criant : « Me Voilà ! Me voila ! Salmonella Roooooose ! Viens ici si tu l’ooooooses ! »
Personne n’a osé. Ils m’ont juste tenue à distance. J’avais enfin la paix et retrouvé le plaisir d’aller à l’école tous les matins. Pour rien que ça.
Au lycée, les moqueries étaient bon enfant. J’avais droit à un surnom différent chaque lundi. C’était à celui qui trouverait le meilleur surnom. Sale môme est là. Sale môme, va. Saumon t’es là ? Y en avait des tout gentils comme des tout méchants.
En Terminale les surnoms étaient épuisés, ils n’avaient plus d’idées, ils ont donc décidé de rajouter mon nom, Rose. Et depuis, avec Salmonella Rose, ma vie a pris toute une autre dimension ...
Chapitre deux :
Au Lycée, donc, en Terminale, les concours ont repris de plus belle pour qui me trouverait le top-surnom. Salmonella Rose. Sale monnaie l’arrose, Pâle môme et la Rose ... Tous les lundis, ou presque, le grand jeu hebdomadaire avait lieu dès la première récréation et réunissait tous les élèves de la classe, enfin, ceux qui étaient intéressés. Les absents, malades ou faux malades participaient quand même en envoyant leur trouvaille par SMS au délégué de classe qui faisait aussi office de délégué du jury. Chacun y apportait donc sa proposition du jour et l’on votait à main levée le surnom choisi.
Un jour je reçus un petit mot, trouvé dans mon sacartable : « Seulement naît la Rose ... signé : F.D »... Seulement naît la rose ... On ne me l’avait jamais dite sous d’aussi belles façons ... Très vite je me suis mise à fantasmer sur ce F.D, mon mystérieux Prince Charmant, F.D... mon Frince Darmant...
Quel prénom pouvait-il d’abord avoir ? Florian, Flavio, Friedrich, Félicien, voire François, Ferdinand ou Fernand, Florent, Frédéric, Fabrice ou Frank ?
Florian D’Ange, m’étais-je imaginée un bon moment. Autant fantasmer sur un niveau poétique quitte à tomber sur un Frédéric Dard (le papa de San Antonio...).
Bref qui était-il et où était-il ?
Je l’ai su le lundi suivant lorsque je l’ai surpris à s’approcher de mon sac, tentant d’y mettre son deuxième petit mot.
Ce fut le coup de foudre, son côté timide m’a de suite plu et quand j’ai voulu lire son message il me l’a reprise des mains, en a fait une boulette et l’a avalé aussitôt-illico-presto ! Puis m’a dit que si je voulais la récupérer je n’avais qu’à aller la chercher ! Belle manière de me provoquer à l’embrasser. Bref il l’avait vraiment avalée mais nous n’avons pas pour autant cessé de nous embrasser.
Jusqu’au moment où j’ai su son prénom... Misérable, me suis-je dit... Fred... C’est tout ? Fred... bof, très banal. Quant à son nom, il n’a pas voulu me le dire. J’ai eu beau insister, rien n’y faisait, il se taisait.