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C’était une maison de style anglais, un paquebot encastré dans l’une des trois collines de Rouen, appelée Mont-Saint-Aignan. L’humidité de l’air bleuté baignait la demeure. Celle-ci, généreuse et con ante, distribuait ses fenêtres va- riées à l’aplomb des curiosités voisines. Le belvédère familial zieutait le minaret de la gare Rouen. Ce deuxième Gros Horloge rouennais martelait les secondes à
toute heure du jour et de la nuit, de l’été comme de l’hiver.
La course du soleil rythmait la respiration accélérée du logis, décidait du bien-
être des pièces. À l’est, deux chambres, bleue et vert-olive se languissaient de tristesse. À l’ouest, trois autres, rose, ocre jaune et corail éclataient de bonheur, au sud le grenier  orissant style art nouveau était perplexe.
Les rideaux coordonnés faisaient leur petit théâtre. Les couettes et les abat- jour s’amusaient aussi. C’était bluffant. Ma mère : le chef d’orchestre ! Les ta- bleaux étaient des ouvertures sur une Normandie impressionniste. Les trumeaux sur les cheminées, les miroirs d’une autre époque, démultipliaient l’espace et nous renvoyaient une image narcissique.
Miroir, mon beau miroir, suis-je la plus belle ? .
Les vitres permettaient d’observer à 360° la vie des alentours, de chercher des amours adolescents, d’observer les arbres sous différents angles. Le quar- tier en forte pente égrainait les bâtisses comme un chapelet de prières, les plus hautes supervisaient largement les plus basses, d’où la vue libérée à l’ouest sur l’horloge de la gare. Le ginkgo biloba plusieurs fois centenaires était couplé avec
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