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16 CULTURE
Mercredi 11 Septembre 2019
Musique andalouse
GHARNATI, MALOUF OU SAN’A ?
L’appellation gharnati – musique andalouse dans le Maghreb – renvoie à la fin de la Reconquête, en janvier 1492, précédée par la chute
à Grenade (Gharnata en arabe) du dernier royaume des musulmans en Andalousie dans la Péninsule Ibérique (Espagne). Elle sera suivie,
dès 1502, par l’expulsion de ces derniers, eux et les juifs. Le mot gharnati est alors adopté pour leur rendre hommage.
’essor de la musique andalouse dans
les cités maghrébines n’est pas stric-
Ltement lié au mouvement des musul-
mans vers l’Afrique du Nord. Il réside
également dans le flux migratoire des mu-
sulmans de Cordoue (Kortoba), dès 1236,
vers Tlemcen qui est alors la capitale des
Ziyanides. De même que la reconquête de
Séville par les rois catholiques, en 1248,
suscitera l’exode forcé des vaincus vers les
territoires de la rive sud de la Méditerranée.
Les héritiers du patrimoine musical anda-
lou auraient pu choisir le mot kortobia ou
même zyriabia. D’autant que c’est à Cor-
doue que le nommé Ziryab – Abou Hassan
Ali ben Nafi (natif d’un village kurde de
Mossoul en 789 et mort à Cordoue en 857)
a fondé, sous la tutelle de l’émir omeyyade
Abd Al Rahman II, une nouvelle tradition
musicale dans l’Espagne musulmane : la
musique andalouse. Sur les 24 composi-
tions – noubas – créées par ce génie du
chant, de la mélodie et du rythme, douze
sont encore jouées, quatre autres demeu-
rent incomplètes, le reste est au registre de
composition. Puis, l’œuvre musicale de Zi- survécu bon gré mal gré jusqu’au jour d’au- tiellement vocale) comme à Tlemcen. En
la mémoire perdue, sachant que ce patri-
ryab sera enrichie par Ibn Bâjja (Saragosse jourd’hui. Durant le XXe siècle, une nou- Tunisie : malouf (musique composée)
moine est transmis oralement. La première
1070 – Fès 1138). Il fera la symbiose entre velle impulsion lui est donné par la comme à Constantine. En Algérie et dans
école de musique de l’Europe est ouverte
les composantes musicales orientale, ma- diffusion, l’enregistrement et la modernisa- sa capitale : san’a³. Voilà trois grandes
par Ziryab.
ghrébine et chrétienne qu’il découvre en tion par l’introduction de nouveaux instru- écoles (ou styles) issues respectivement de
Andalousie. ments comme le piano, la guitare et la flûte Grenade, Cordoue et Séville. Elles parta-
L’apport d’Ibn Bâjja Il restructure la nouba en introduisant le traversière. gent le même répertoire reposant sur sept
muwachah et le zajal, crée deux nouveaux modes fondamentaux : djarka, raml el
Il innove aussi en matière d’instruments, mouvements : el istihlâl et el amal, met en Modernisation maya, zidane, aâraq, sika, mezmoum,
perfectionnant notamment le luth médié- point un accord en quintes embrassées moual. Toujours est-il que le gharnati se
val. Il le dote d’une cinquième paire de pour le luth andalou-maghrébin qui est en- En dépit de ses différentes dénominations différencie dans la forme. Il est générale-
cordes, si bien qu’il devient l’élément prin- core pratiqué : ramal au Maroc, oûd ârbî et évolutions selon le génie de chaque ré- ment exécuté en petite formation, compo-
cipal de l’âme musicale andalouse. en Tunisie, kouitra en Algérie. gion, la suite vocale et instrumentale, soit sée de musiciens à la fois instrumentistes
L’après Ziryab sera marqué par la création Quel que soit le nom qui lui est donné : la nouba, demeure la base commune. Au et chanteurs. Le chant en solo est valorisé
de nouvelles formes poétiques et musi- musique andalouse, arabo-andalouse, an- Maroc, il est connu sous le nom de âla et interprété à l’unisson par un ensemble
cales : el muwachah¹ et el zajal², ce qui dalou-maghrébine, musique hispano-mu- et/ou gharnati (musique instrumentale par restreint, parfois enrichi d’ornements vo-
permet une nouvelle dynamique dans la sulmane, le legs musical d’Andalousie a opposition à la musique religieuse essen- caux effectués par le chanteur.
Civilisation islamique
Universalité et diversité
L’évocation de la civilisation arabo-musul- Perse, à l’est : Inde et même la Chine, à d’autres disciplines. Il est notamment ques- tre la volonté du khalifat à maintenir le
mane comme une histoire brillante seule- l’ouest : Afrique du Nord, Espagne… Sans tion d’aller vers la maîtrise des formes an- pouvoir musulman, non pas seulement par
ment, sans reconnaître l’apport de pratiquer donc l’exclusion, la civilisation ciennes d’irrigation, des adductions d’eau, la force des armes, mais aussi par le rayon-
différentes cultures antérieures à la propa- musulmane apparait comme celle d’une des techniques agricoles et d’amélioration nement culturel. L’impact du monde isla-
gation de l’islam dans le monde, relève de synthèse originale. Elle fait sienne des élé- des cultures. D’autant que l’essence même mique est tel qu’il se traduit par la création
la conservation d’un mythe. ments culturels byzantins, eux-mêmes hé- d’une civilisation est urbaine, même si la d’écoles, d’observatoires, d’universités,
De par sa rapide expansion, dès la seconde ritiers de la Grèce et de Rome, ceux de la principale source de richesse demeure la d’hôpitaux – les premiers étant fondés sous
moitié du VIIe siècle, l’islam s’impose Perse, de l’Inde et d’autres contrées asia- terre. le règne de Haroun Al Rachid au IXe siècle
comme une alternative aux pouvoirs de By- tiques. Sans procéder à la destruction, elle –, de bibliothèques publiques comme celle
zance et de Babylone. Tout au long de ses assimile les différentes cultures des pays Le génie des savants de Cordoue qui compte au Xe siècle 400
différentes conquêtes, la civilisation arabo- conquis, faisant de l’accumulation des 000 volumes.
musulmane puisera son dynamisme, son connaissances une règle fondamentale Sans cette quête du savoir et l’innovation Quant à la conception architecturale ur-
originalité et sa richesse dans la multiplicité pour son développement. Cela passe no- des génies, des villes comme Baghdad, Le baine, y compris celle de la mosquée, elle
des sources et de ses ressources, tant hu- tamment par la traduction en langue arabe Caire, Cordoue, Fès, Kairouan n’auraient pas émane plutôt de la combinaison d’élé-
maines que matérielles. Abstraction faite du savoir des « Anciens », ceux de Grèce pu se développer. Ces capitales de l’islam ments empruntés à toutes les architectures
de l’islamisation et de l’arabisation, cette entre autres. Les savants du Moyen-âge reflètent une civilisation commune et uni- orientales : à l’Egypte la salle à colonnes; à
nouvelle civilisation s’affirme aussi par le musulman se sont attelés à cette tâche, sa- verselle. la Perse la coupole; à l’Espagne wisigo-
dialogue instauré entre les penseurs, non chant qu’une langue qui traduit s’enrichit L’apport des savants du monde musulman thique l’arc en fer à cheval. Dès le XVIe siè-
sans recourir à la tradition philosophique en augmentant le champ des significations reste, au jour d’aujourd’hui, une référence cle, la civilisation arabo-musulmane subira
léguée par la Grèce. Après la prise des an- possibles et du lexique, permet aussi le dé- indéniable. Quoi que confrontés au dog- son déclin.
ciens territoires sassanides, en Mésopota- veloppement des sciences et des arts. Pour matisme et au conservatisme de courants Si l’explication réside dans l’appauvrisse-
mie et en Iran, ceux des Byzantins, en Syrie ce faire, la collecte de la connaissance relè- musulmans, ils ont œuvré à la progression. ment économique, elle l’est aussi dans la
et en Egypte, le mouvement musulman vera de la traduction de textes de méde- L’exemple du philosophe Ibn Sina (Avi- Reconquête catholique et dans le dogma-
s’étendra progressivement au-delà de la cine, de philosophie, d’astronomie et cenne), sinon sa création scientifique, illus- tisme inhérent à la religion.