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             Jeudi 05 Septembre 2019


                                                                     Maroc - Espagne
                   LES NOUVELLES ROUTES DE LA DROGUE



                  En avril 2019, les hommes de la Guardia Civil mènent l’opération Cresta à Ayamonte, sur un bras du fleuve Guadiana (province de Huelva).
                                      Bilan des saisies : environ 3 tonnes de cannabis et 4 canots appelés « lanchas » par les Espagnols
































                  ujourd’hui, le détroit de Gibraltar  Gibraltar, là où Maroc et Espagne se tou-  quatre heures à l’avance. L’affaire com-  Le rapport coût-profit reste meilleur que
                  est hautement surveillé. Les trafi-  chent presque. Une distance de 14 kilo-  mence avec les « points », des guetteurs  le meilleur des fonds d’investissement. Le
            Aquants       disposent  d’énormes  mètres qui permettait une contrebande  répartis dans le secteur : des adolescents  kilo de haschisch vaut entre 400 et 600
            moyens pour longer la côte et inonder  intense et rapide. Mais, depuis 2018, le  qui, l’air nonchalant, fument une cigarette,  euros au Maroc (chiffres du capitaine Juan
            l’Europe.Nuit noire. Océan Atlantique, à  pouvoir espagnol a mis la pression sur La  une femme qui promène son chien… En  Ruiz). Une fois en Espagne, il monte à 2
            l’orée du fleuve Guadalquivir. La chasse  Linea de la Concepcion, dite « la ligne »,  tout, 30 à 70 personnes chargées d’indi-  000 euros. Dans le reste de l’Europe, le
            commence. L’hélicoptère des gardes civils  la ville qui jouxte le rocher britannique. «  quer, par téléphone, la présence des  prix est multiplié par trois. Ce qui, pour 1
            fond sur une « lancha » remplie de shit,  Les “narcos” menaçaient les forces de l’or-  forces de l’ordre. Interviennent ensuite les  tonne infiltrée, offre 4 millions d’euros de
            qu’il éclaire. Le bateau fou amplifie sa vi-  dre, même en civil. Plus rien ne les ef-  ramasseurs des lourds paquets jetés sur  rentrées. Ce profit irrigue la région. Le
            tesse, dans un bruit assourdissant. Pen-  frayait, cela devenait invivable », relate le  le sable, 20 personnes payées chacune 1  marché des 110 kilomètres de rive anda-
            dant de longues minutes, l’engin volant se  capitaine Juan Ruiz.        500 euros pour remplir les 4 x 4 garés  louse est partagé en deux clans. Les frères
            rapproche, menaçant, de l’embarcation.  Lui a intégré Ocon-Sur, une unité de la  près d’une route rapide d’accès. Sept mi-  Tejon, « Los Castañas », en prison, règnent
            C’est bon, celle-ci ne va pas accoster…  Guardia Civil basée à Malaga, créée pour  nutes d’adrénaline. Le chauffeur et son  entre Cadix et Algésiras, tandis qu’Abdel-
            sauf qu’une lumière verte aveugle sou-  lutter contre ce fléau. Il détaille un nom-  comparse empochent 15 000 euros pour  lah El Haj Sadek Membri, alias « El Messi
            dain le pilote de l’hélico, qui doit ralentir.  bre d’arrestations record : 5 000 en un an,  aller planquer la marchandise chez une «  », en fuite, domine le territoire autour de
            Le laser, arme nouvelle des contreban-  pour 150 tonnes de haschisch saisies. Le  nourrice ». Après, les acheteurs néerlan-  Gibraltar. Des règlements de comptes sur-
            diers de la came. Cette fois, les trafiquants  trafic ne baisse pas pour autant. Maigre  dais, français, belges, suédois ou autres  gissent ici et là, des gangs spécialisés
            ont gagné. Ils s’enfoncent dans la pénom-  satisfaction : « Dans cette guerre perdue,  viennent récupérer leurs commandes. Le  dans le vol de la came sèment la pagaille,
            bre, le fleuve est leur délivrance. Sur le «  explique-t-il, on leur complique la tâche,  « supermarché » européen se met en  mais le haschisch rapporte beaucoup
            lieu du crime », une semaine plus tard,  on les oblige à modifier leur technique. »  place...               moins que la cocaïne, ce qui diminue la
            quatre copains désœuvrés de 16 ans traî-  Puisque la vigilance a redoublé à Gibraltar                       tension et les coups de sang. Jeronimo
            nent près de l’embarcadère. Les gamins  en raison de l’afflux de migrants, les nar-  Une saisie de hashich  Pacheco Polo, commandant en chef de la
            sourient à l’évocation de ces lanchas, for-  cos se réorientent vers Almeria et Malaga                      brigade judiciaire des gardes civils d’Al-
            mules 1 des mers utilisées pour faire pas-  à l’est, Huelva et Sanlucar à l’ouest, d’où  Depuis les hauteurs d’Algésiras, un héli-  gésiras, relate une manière efficace de
            ser du haschisch, à toute berzingue,  ils remontent les fleuves.        coptère de la Guardia Civil s’envole vers  coincer les « méchants » : « On procède à
            depuis le Maroc vers l’Espagne.                                         le détroit pour patrouiller. Joystick entre  une étude du patrimoine, ils ne peuvent
                                                S’adapter, le nerf de la guerre. Quitte à  les mains, un garde observe un écran,  pas justifier grand-chose. » Que ce soient
              Ici, tout le monde vit de la drogue  prendre davantage de risques, s’exposer  zoome, manœuvre la caméra vissée sous  des bouis-bouis de plage ou des restau-
                                                dans des endroits moins sûrs et payer du  le cockpit. Il repère une bizarrerie : sur une  rants plus guindés, la côte pullule d’éta-
            « Vous êtes dans le bon secteur. Ils fusent  « personnel » moins fiable. Si les itiné-  moto des mers, un homme transporte  blissements destinés à blanchir les «
            comme des avions. Un jour, ils ont foncé  raires et le modus operandi varient, le  une femme voilée, possiblement clandes-  dineros ». Après enquête, les juges lais-
            dans un bateau des douanes », dit l’un  début de l’histoire, lui, ne change pas. Le  tine. « S’il n’y a pas de haschisch, ils em-  sent ouverts les lieux viables commercia-
            d’eux, qui déniche dans son portable des  trafic s’enracine au Maroc. Une organisa-  barquent des migrants. Il faut rentabiliser  lement.
            images d’engins échoués, d’arrestations,  tion locale achemine le haschisch des  », explique Juan, le pilote. Le Jet-Ski ter-  Depuis la chute des livraisons de drogue,
            de fagots de « chocolate » à portée de  montagnes du Rif à la Méditerranée, sou-  minera stoppé par la police. Quand un  La Linea de la Concepcion souffre. Les
            main. Ils avouent qu’ils auraient bien  vent à dos d’âne. On charge la résine –  hélicoptère identifie des trafiquants, pas  boutiques de téléphonie tirent le rideau,
            chipé un paquet, soit 35 kilos de ha-  jusqu’à 5 tonnes par passage – dans des  de fusillade. Le canot est pris en filature,  les salons de coiffure déclarent 50 % de
            schisch ; mais avec tous les gens qui fil-  barques de pêcheur, qui rejoignent en  afin d’épuiser ses réserves d’essence et de  revenus en baisse, les enseignes de prêt-
            maient, impossible… Le regard du plus  haute mer une ou deux lanchas. Un pilote,  permettre aux équipes maritimes de l’ar-  à-porter écoulent poussivement leur ca-
            freluquet s’assombrit : « Mon père est en  un copilote, le mécanicien et l’« huissier  raisonner sur terre. Les gardes civils ont  melote : les compagnes de ces messieurs
            prison, il a pris trois ans pour avoir essayé  », l’homme de confiance du propriétaire  mis hors d’état de nuire plusieurs d’entre  disposent de moins de cash. Dans le
            de livrer plusieurs tonnes de shit. Ici, tout  marocain de la drogue, réceptionnent les  eux équipés de quatre moteurs, une ra-  quartier de l’Atunara, réputé pour abriter
            le monde vit de la drogue. »        paquets. Puis l’équipage fait cap sur l’em-  reté. Il y a cinq ans, seuls des bimoteurs  les narcos et leurs familles, un dédale de
            Sanlucar de Barrameda a le charme sur-  bouchure d’un fleuve. Quand tout se  circulaient. Sur le port d’Algésiras, un coin  ruelles a laissé pousser des immeubles
            anné des cités balnéaires où rien ne  passe bien, les bateaux s’y enfoncent sans  est réservé aux embarcations confisquées,  délabrés à deux pas de la mer. Assis sur
            change. Les mêmes restaurants de pois-  se faire repérer ; quand tout va mal, les  un cimetière de lanchas et de Jet-Ski. Cer-  des chaises en plastique, des apprentis
            son accueillent locaux ou touristes le long  autorités les coursent en hélicoptère, cap-  tains pourrissent, d’autres ont été recon-  Tony Montana, torse nu, en short, trans-
            de la côte. Nappes en papier, menu sim-  turent la cargaison et ses livreurs au sol.  vertis. Des pneumatiques sont désormais  percent de leur regard noir les visiteurs. «
            ple et, désormais, en attraction régulière,                             bardés de l’inscription Guardia Civil. Si la  Les seuls postes, pour ces jeunes sans di-
            ces bateaux ultra rapides et bruyants qui  Tout doit être balisé quatre   prise de ces monstres, estimés à 200 000  plôme, seraient serveur ou balayeur, alors
            déboulent comme des tornades. Située          heures à l’avance         euros, porte un coup aux narcos, elle ne  qu’un guetteur gagne 500 euros pour
            au nord de Cadix, ouverte sur l’Atlantique,                             leur est pas fatale.                quatre heures de boulot, plusieurs fois
            la ville est une des nouvelles voies de pas-  C’est en effet sur terre que se situe l’étape  Le kilo de haschisch vaut entre 400 et 600  par semaine. C’est un problème d’ordre
            sage qui remplacent celle du détroit de  la plus dangereuse. Tout doit être balisé  euros au Maroc          social », analyse le commandant.
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