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             Lundi 29 Avril 2019
                                                                              Maroc


                                         LIBERTÉ DE LA PRESSE,



                                              L’ÉTAU SE RESSERRE



              “Descartes n’est pas Marocain” est le titre du livre de Philippe Brachet, ancien coopérant français à Rabat. Il y explique le développement
             du sous‐développement au Maroc, sous‐titre du livre, par « le climat de violence et de frustration dans lequel le jeune Marocain est souvent
                                            élevé et qui lui construit une personnalité de type névrotique ou paranoïaque ».
                   epuis 1982, date de parution du
                   livre, la frustration perdure au sein
            Dd’une jeunesse, majoritaire, qui a
            souvent pour seule aspiration celle de quit-
            ter un pays où les services publics sont dé-
            faillants et où l’ascenseur social bloqué.
            Leur violence, latente, risque d’éclore à tout
            moment face à un Etat qui ne tient la barre
            que par le prisme sécuritaire, dont l’effica-
            cité est discutable en réponse à des jeunes
            connectés en permanence au reste du
            monde. C’est dire la délétère atmosphère
            qui règne aujourd’hui sur le royaume.
            La cour d’appel de Casablanca a confirmé
            le jugement de dissolution d’une associa-
            tion culturelle, Racines. Le ministère de l’in-
            térieur lui reproche d’avoir hébergé, en
            août 2018, une émission libre de ton, dif-
            fusée sur YouTube, où des convives conver-
            sent sur les politiques publiques autour
            d’un dîner animé par deux « cons », d’où
            son titre « 1 dîner 2 cons ».
            L’affaire aurait pu rester anecdotique avec  Human Rights Watch, le 18 janvier. Il est  farant et les services publics discriminants.  culturelle et la liberté d’expression repré-
            un haut fonctionnaire qui s’énerve. Des tru-  plus facile de gouverner des courtisans et  A travers son slogan « La culture est la so-  sentent les premiers ingrédients de cette
            blions avaient osé émettre, à l’encontre de  des citoyens contraints de s’autocensurer.  lution », l’association proposait une autre  politique publique de développement hu-
            son ministère de tutelle, des critiques. D’au-  C’est moins coûteux et moins visible que la  alternative au fameux « L’islam est la solu-  main, social et économique. Le contrat so-
            tant plus difficiles à digérer quand l’émis-  répression.L’affaire devient encore plus ri-  tion » des Frères musulmans.Certes, contre  cial, convention entre l’Etat et le citoyen
            sion a totalisé plus d’un demi-million de  dicule quand cette dissolution émane de  les dangers externes, le pays a besoin de  régissant le dosage entre sécurité et liberté,
            vues sur Internet et que la pétition, lancée  l’excès de zèle d’un fonctionnaire de pré-  stabilité. Mais le ministère de l’intérieur la  c’est en immobilisant le curseur sur la seule
            par des amis de l’association contre la dis-  fecture, entraînant son ministère et l’Etat  régit par une emprise totale sur la sécurité,  sécurité que le pays entretient ce cercle vi-
            solution de Racines, a été signée par des  dans un engrenage infernal dans lequel Ra-  le social, l’économie, le développement hu-  cieux du sous-développement.Comment
            soutiens comprenant des noms illustres  cines devient un dommage collatéral et un  main… Une stabilité fragile au demeurant,  (s’)en sortir quand l’Etat, par orgueil mal
            tels que Noam Chomski, Ken Loach, Leïla  précédent dangereux. Une association dis-  car un danger interne risque d’être encore  placé ou cynisme, use de ses institutions
            Slimani, Mathieu Kassovitz, Gilbert Achcar…  soute pour cause d’« opinions politiques  plus explosif, celui du radicalisme. Piège  pour faire taire les voix dissonantes ? Un
                                                exprimées, s’égarant des objectifs pour les-  dans lequel peuvent aisément tomber des  autre cercle vicieux duquel l’Etat marocain
                                                quels l’association a été constituée »,  individus que les politiques d’éducation  sortirait gagnant en pariant sur l’intelli-
                  Un engrenage infernal
                                                comme le précise la motion du parquet gé-  n’ont jamais préparés à l’esprit critique.  gence et en considérant ses forces vives en
            Ce n’est plus de l’anecdotique quand l’Etat  néral. Un cas d’arbitraire évité même lors                     partenaires au lieu de les transformer en
            se venge de toute tentative d’évaluation de  des plus sombres années de plomb d’Has-  Orgueil mal placé ou cynisme  ennemis juste parce qu’ils aspirent à
            politiques publiques, en punissant la liberté  san II.Avant sa dissolution, Racines tentait                 s’émanciper librement, de manière ci-
            d’expression et d’association. « En cher-  de réparer, par l’action culturelle et l’éduca-  Le développement étant une construction  toyenne.En l’absence d’un réel contrat so-
            chant à dissoudre l’organisation qui l’a hé-  tion populaire, les dégâts causés par des  collective, Racines proposait d’émanciper  cial, jusqu’à quel point la violence légitime
            bergée, les autorités envoient un message  décennies d’inéquitables politiques d’édu-  le citoyen, en s’appropriant un projet com-  de l’Etat est-elle légitime ? Même si le «
            glaçant aux journalistes et commentateurs  cation, de santé, de justice… Il s’agissait  mun débattu dans un espace public  plus beau pays du monde » essaie de ma-
            critiques, qui se font de plus en plus rares  d’essayer d’initier, par la culture, un cercle  constructif et pacifié. Cela ne peut se faire  quiller l’arbitraire par des slogans publici-
            au Maroc. Et ce message est : “Taisez-vous  vertueux de développement dans un pays  sans investissement public dans l’intelli-  taires, « l’exception marocaine » ne leurre
            !”», déclaraient Amnesty International et  où le taux d’analphabétisme est encore ef-  gence et la créativité. L’éducation, l’action  plus personne.
                                                                             Minurso
                                           Le Conseil de sécurité reporte



                                          le vote de la résolution à mardi


            Le Conseil de sécurité a repoussé jusqu’à  rendant le texte déséquilibré, indique à  général, le texte ne cite pas nommément le  Brahim Ghali, a appelé le Conseil de sécu-
            demain mardi le vote de la résolution pro-  l'APS une source proche du dossier. Les  Maroc comme étant la partie ayant commis  rité à condamner avec la plus grande fer-
            rogeant le mandat de la Minurso pour pou-  amendements proposés par ces membres  ces violations et imposé des restrictions à  meté " les actions déstabilisatrices " du
            voir examiner les réserves formulées par  font actuellement l’objet d’examen par la  la liberté de mouvement de la Minurso et  Maroc. "A la veille des consultations du
            quelques membres sur le texte présenté  délégation américaine qui souhaite parve-  de l’émissaire Horst Kohler. Sans nommer  Conseil de sécurité sur le renouvellement
            par les Etats-Unis. L’adoption de cette réso-  nir à une adoption par consensus de la ré-  le Maroc, le projet de résolution a exprimé  du mandat de la Minurso, il est de mon de-
            lution qui reconduit le mandat de la mis-  solution, précise-t-elle. Le projet de  sa préoccupation face aux violations des  voir d'attirer votre attention sur l'escalade
            sion pour l’organisation d’un référendum  résolution ne tient pas compte de plusieurs  accords de cessez-le-feu, appelant les par-  des violations du cessez-le-feu par le Maroc
            au Sahara Occidental de six mois était ini-  observations contenues dans le rapport du  ties au conflit à mettre en œuvre leurs en-  et le besoin urgent pour Conseil de sécurité
            tialement prévue pour lundi. Quelques  secrétaire général en particulier celles se  gagement envers l’envoyé personnel et à  d’agir rapidement pour condamner de tels
            membres du Conseil de sécurité estiment  référant aux droits de l'homme et aux vio-  s’abstenir de toute action susceptible de  actes", écrit le SG du Front Polisario dans
            que la première mouture du projet a été ré-  lations majeures du cessez-le-feu par le  compromettre les négociations facilitées  une lettre transmise au président du
            digée dans un style qui prête à confusion,  Maroc. A l’opposé du rapport du secrétaire  par l’ONU. Mercredi, le président sahraoui,  Conseil de sécurité, Christoph Heusgen.
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