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16 CULTURE
Dimanche 22 Septembre 2019
Musique andalouse
GHARNATI, MALOUF OU SAN’A ?
L’appellation gharnati – musique andalouse dans le Maghreb – renvoie à la fin de la Reconquête, en janvier 1492, précédée par la chute
à Grenade (Gharnata en arabe) du dernier royaume des musulmans en Andalousie dans la Péninsule Ibérique (Espagne). Elle sera suivie,
dès 1502, par l’expulsion de ces derniers, eux et les juifs. Le mot gharnati est alors adopté pour leur rendre hommage.
’essor de la musique anda-
louse dans les cités maghré-
Lbines n’est pas strictement
lié au mouvement des musul-
mans vers l’Afrique du Nord. Il ré-
side également dans le flux
migratoire des musulmans de
Cordoue (Kortoba), dès 1236, vers
Tlemcen qui est alors la capitale
des Ziyanides. De même que la
reconquête de Séville par les rois
catholiques, en 1248, suscitera
l’exode forcé des vaincus vers les
territoires de la rive sud de la Mé-
diterranée.
Les héritiers du patrimoine musi-
cal andalou auraient pu choisir le
mot kortobia ou même zyriabia.
D’autant que c’est à Cordoue que
le nommé Ziryab – Abou Hassan
Ali ben Nafi (natif d’un village
kurde de Mossoul en 789 et mort
à Cordoue en 857) a fondé, sous
la tutelle de l’émir omeyyade Abd
Al Rahman II, une nouvelle tradi-
tion musicale dans l’Espagne mu- musicale andalouse. L’après Zi- en point un accord en quintes le piano, la guitare et la flûte tra- écoles (ou styles) issues respecti-
sulmane : la musique andalouse. ryab sera marqué par la création embrassées pour le luth andalou- versière. En dépit de ses diffé- vement de Grenade, Cordoue et
Sur les 24 compositions – noubas de nouvelles formes poétiques et maghrébin qui est encore prati- rentes dénominations et Séville. Elles partagent le même
– créées par ce génie du chant, de musicales : el muwachah¹ et el qué : ramal au Maroc, oûd ârbî évolutions selon le génie de répertoire reposant sur sept
la mélodie et du rythme, douze zajal², ce qui per- en Tunisie, kouitra en Algérie. chaque région, la suite vocale et modes fondamentaux : djarka,
sont encore jouées, met une nou- Quel que soit le nom qui lui est instrumentale, soit la nouba, de- raml el maya, zidane, aâraq, sika,
L’apport d’Ibn Bâjja
quatre autres de- velle dynamique donné : musique andalouse, meure la base commune. Au mezmoum, moual. Toujours est-il
meurent incomplètes, le reste est dans la composition. Puis, l’œu- arabo-andalouse, andalou-ma- Maroc, il est connu sous le nom que le gharnati se différencie
au registre de la mémoire perdue, vre musicale de Ziryab sera enri- ghrébine, musique hispano-mu- de âla et/ou dans la forme. Il est
sachant que ce patrimoine est chie par Ibn Bâjja (Saragosse sulmane, le legs musical gharnati (mu- Modernisation généralement exé-
transmis oralement. La première 1070 – Fès 1138). Il fera la sym- d’Andalousie a survécu bon gré sique instrumen- cuté en petite for-
école de musique de l’Europe est biose entre les composantes mu- mal gré jusqu’au jour d’au- tale par opposition à la musique mation, composée de musiciens
ouverte par Ziryab. Il innove aussi sicales orientale, maghrébine et jourd’hui. religieuse essentiellement vocale) à la fois instrumentistes et chan-
en matière d’instruments, perfec- chrétienne qu’il découvre en An- Durant le XXe siècle, une nou- comme à Tlemcen. teurs. Le chant en solo est valo-
tionnant notamment le luth mé- dalousie. Il restructure la nouba velle impulsion lui est donné par En Tunisie : malouf (musique risé et interprété à l’unisson par
diéval. Il le dote d’une cinquième en introduisant le muwachah et le la diffusion, l’enregistrement et la composée) comme à Constan- un ensemble restreint, parfois en-
paire de cordes, si bien qu’il de- zajal, crée deux nouveaux mouve- modernisation par l’introduction tine. En Algérie et dans sa capi- richi d’ornements vocaux effec-
vient l’élément principal de l’âme ments : el istihlâl et el amal, met de nouveaux instruments comme tale : san’a³. Voilà trois grandes tués par le chanteur.
Les Almohades
Mouvement rigoriste d’Ibn Toumert
Après avoir mis fin au pouvoir des Almora- 1117, il en fait son premier point d’ancrage. mouvement. Le théoricien virulent Ibn Tou- et du pouvoir, le second celui de l’Etat al-
vides et pris leur capitale Marrakech, les Juriste et théologien, il rassemble les pre- mert, auteur de l’ouvrage Aazou ma yout- mohade et le garant de son expansion. Ibn
Berbères almohades apparaissent, dès miers initiés. Il conteste la pratique des Al- lab (Le meilleur qu’on puisse chercher), Toumert est reconnu comme imam impec-
1147, comme un mouvement de réforma- moravides du pouvoir, leur étude limitée incarne le puritanisme et l’ascèse, ce qui sé- cable (maâsoum).
teurs sunnites dans tout le Maghreb et en des préceptes coraniques au profit d’un ju- duit l’audience à une large échelle dans les Abd el Moumen est, lui, premier imam-ca-
Andalousie. Voilà un guide, un imam sun- ridisme excessif, leur attachement forma- régions maghrébines. Il est cependant life (1130-1162). L’unique législateur, le seul
nite qui a des ambitions autant politiques liste au rite malékite. Il prêche la réforme confronté à la réalité du terrain, à la pres- interprète autorisé des textes fondateurs de
que religieuses. Mohamed ibn Toumart des mœurs et des pratiques juridiques. Il sion almoravide. l’islam. En une trentaine d’années, il sera le
(naissance présumée entre 1076 et 1082) se développe une vision austère et rigoriste constructeur du nouvel empire islamique
serait proclamé devant ses fidèles Mahdi des normes sociales et de l’autorité légi- Au nom de l’unicité au Maghreb et en Andalousie, régi par le
(un homme providentiel qui selon les sun- time. Vision inhérente au principe fonda- dogme de l’unicité divine, soit la réalisation
nites devras combattre l’Antéchrist), sinon mental : l’unité divine (tawhid, d’où Pour parvenir à la chute de leur rival, les Al- ultime de l’islam et de l’Ordre de Dieu. Les
reconnu en tant que tel. Il se présente ainsi l’appellation Mouahidoun). C’est au nom de mohades ont recours à la sélection (ta- musulmans sont eux-mêmes assignés à se
comme le chef légitime, le représentant de cette unicité qu’il a préparé les Masmuda à myiz), c’est-à-dire l’élimination directe par convertir à l’unitarisme (tawhid). Les juifs et
Dieu (khalifat allah comme chez les sa cause (daâwa) religieuse et militaire. les tribus elles-mêmes des membres les les chrétiens, eux, ne sont plus tolérés
Chiîtes), non pas le successeur du prophète moins motivés au ralliement. La solidarité comme communauté. Cette quête d’auto-
(khalifat rassoul allah), ce qui est une ex- Tinmel le lieu de départ tribale sera ainsi brisée. Cette épuration rité absolue aura duré jusqu’à 1269, date
ception chez les Sunnites. Pour asseoir sa sera suivie par l’offensive anti-almoravide. marquant l’émergence des Mérinides. Et
doctrine, ce membre de la tribu des Arghen Dans une seconde phase, vers 1124, il au- Ibn Toumert décède en 1130 et son succes- pour la première et dernière fois de l’his-
(appartenance aux Berbères Masmuda) ré- rait trouvé refuge à Tinmel dans le Sud ma- seur Abd el Moumen mène les troupes, toire, le grand Maghreb sera unifié sous
side en montagne à Igiliz (près de Tarou- rocain, qui allait devenir le point d’envol jusqu’à la prise de Marrakech en 1146. l’autorité de souverains, non pas arabes,
dant, ville du Sud-ouest du Maroc). Dès des Almohades, la première capitale de ce Le premier est le fondateur du mouvement mais berbères.