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             Samedi 23 Novembre 2019
                                                                        Gilets jaunes


                        OUVERTURE DU PROCÈS INÉDIT D'UN



              POLICIER POUR «VIOLENCES VOLONTAIRES»




               La police anti-émeute monte la garde lors d'affrontements avec des manifestants, le 1er mai à Paris. Le procès du CRS qui avait lancé un
                pavé lors d'une manifestation de Gilets jaunes le 1er mai s'est ouvert. Trois mois avec sursis ont été requis pour «violences volontaires»
                                              contre ce policier, le premier mis en cause depuis le début du mouvement.
                 e procès du CRS mis en cause durant
                 la manifestation du 1er mai pour
            Lavoir jeté un pavé en direction de ma-
            nifestants Gilets jaunes s’est ouvert ce 21
            novembre. Membre de l'unité CRS 27 de
            Toulouse, le brigadier comparaît pour «vio-
            lences volontaires par personne dépositaire
            de l'autorité publique n'ayant pas entraîné
            d'incapacité».
             Depuis le début du mouvement des Gilets
            jaunes, c'est la première fois qu'un membre
            des forces de l'ordre se retrouve à compa-
            raître au Tribunal de grande instance, alors
            que l'Inspection générale de la police na-
            tionale (IGPN) a lancé 212 enquêtes. Le
            procureur a requis une peine de trois mois
            de prison avec sursis à l’encontre de ce CRS,
            et la décision a été mise en délibéré au 19
            décembre. Pour rappel, dans une vidéo ra-
            pidement devenue virale sur les réseaux
            sociaux, on voyait ce CRS lancer un pavé en
            direction de Gilets jaunes, alors que des
            heurts violents se déroulaient entre mani-
            festants et forces de l'ordre. La scène s'est
            déroulée aux alentours de 17h30, selon
            l'auteur de la vidéo, Laurent Bortolussi,
            journaliste de l'agence indépendante Line
            Press, devant l'hôpital de la Pitié-Salpê-
            trière, non loin de la place d'Italie dans le  l'abri. Le CRS a assuré avoir vu le pavé tom-  liciers avaient «fait usage de seulement un  tionné. Pourquoi ? Pour plusieurs raisons,
            XIIIe arrondissement de Paris. En revanche,  ber sans qu'il n'ait touché personne, préci-  tir de lanceur ce jour-là». Il a pris la défense  notamment car ce geste pourrait être inter-
            sur les images, impossible d'établir si ce  sant qu'il n’avait plus de moyen de défense  de son collègue, rappelant que les policiers  prété par les manifestants non pas comme
            projectile a pu blesser quelqu'un. Selon  à ce moment-là. «Désastreux» pour l'image  étaient avant tout des fonctionnaires qui  une mise à distance, mais un accroissement
            l'avocat du policier, Maître Laurent Boguet,  des forces de l'ordre Le président de l'au-  s’engageaient pour la République, la justice  des violences». Il poursuit : «Les instincts de
            aucune partie civile n'a été constituée.  Un  dience a alors interrogé le brigadier sur la  mais également contre «l’anarchie».  «Ni  réflexe et de peur... on peut l’entendre [...]
            «geste de repli», selon le CRS incriminé A  notion de réflexe. Selon lui, un réflexe ne  nécessaire, ni proportionné», selon le pro-  mais il y a une perte de sa maîtrise à cet
            l'ouverture du procès, auquel a assisté un  permet en effet pas de viser correctement  cureur Le responsable de l’enquête admi-  instant précis». A la suite de ces déclara-
            journaliste de RT France, le président de  une zone neutre, et la vidéo où l'on voit le  nistrative est venu expliquer son rapport à  tions, le procureur a demandé une réponse
            l'audience a tenu à rappeler le contexte très  geste du CRS s'est avérée «désastreuse»  la barre.           pénale proportionnelle de trois mois de
            violent de la manifestation, évoquant une  pour l'image des forces de l'ordre.  Diffusée  Il a confirmé la version du CRS, estimant  prison avec sursis à l’encontre du CRS. Pour
            «haute intensité».                  dans la salle d’audience, la vidéo montrant  que le jet de pavé en question était un  l'avocat, l'intention du CRS n'était pas la
            Le président a fait part des déclarations du  la scène a été décortiquée par le président,  geste tactique de repli : «C’est l’acte élé-  même que celle des Gilets jaunes L’avocat
            capitaine de police, présent le 1er mai, et  et d’autres vidéos contextuelles ont été  mentaire du combattant. C’est pour rompre  du CRS a estimé quant à lui que les critères
            allant dans le même sens : «Dès le départ,  montrées, notamment celle de la blessure  le contact, comme l’écran de fumée qu’on  de la qualification pénale n'étaient pas réu-
            ils ont été pris à partie par des black blocs  du capitaine.  Mon geste, c’était plus de la  a vu sur les vidéos. [...] Le CRS c’est le savant  nis en l'absence de victime de ce jet de
            et des éléments ultra jaunes [...] j’ai eu plu-  peur que de la colère.  équilibre entre l’ordre la rigueur et la disci-  pavé. Il a reconnu que ce geste était cho-
            sieurs contusionnés et des blessés.» Inter-  Le CRS a ensuite été invité à commenter les  pline, Taïeb, il est traîné devant la justice  quant sur le plan moral et sociétal [...] et
            rogé à la barre, le CRS mis en cause a  vidéos : «C’est le plus gros maintien de l’or-  dans l’exercice normal de la démocratie...  que des GJ avaient été condamnés sur des
            reconnu son geste, tout en contestant les  dre que j’ai fait de ma carrière, même la loi  mais demain il faudra qu’il reprenne le  faits similaires. Mais il a précisé que l’inten-
            faits de violence volontaire qui lui sont re-  El Khomri et Nuit debout... Ce 1er mai était  casque pour aller défendre la démocratie»,  tion des manifestants qui avaient jeté un
            prochés, et tenant par ailleurs à rappeler la  plus violent, c’étaient des scènes de guérilla  explique l’auteur du rapport. Une version à  pavé n’était pas la même. «Par ailleurs, on
            difficulté de son métier.  «Notre capitaine  [...] mon geste, c’était plus de la peur que  laquelle n'a pas souscrit le procureur : «Est-  ne peut pas s’affranchir des éléments d’at-
            était gravement blessé, c’était le boss qui  de la colère», a-t-il expliqué au président.  ce que monsieur ne peut pas se voir décla-  teinte à l’intégrité physique ou psychiques
            n’était pas là... et ça bougeait de partout,  Faisant valoir la dimension républicaine de  rer coupable quand bien même il n’y a pas  d’une personne», précise l’avocat, qui
            on nous demandait un barrage. On avait  la mission de police, l’avocat de la défense  de victime [...] ce n’est pas le procès de la  plaide la relaxe.  Au terme de cette au-
            commencé 6h avant aussi il faut dire... on  a rappelé que le CRS, équipé de son arme  police ni celui des manifestants les plus  dience, le président a déclaré au CRS :
            n’avait pas le temps de redescendre en  de service, n’avait malgré tout pas envisagé  hostiles. [...] Peu importe le résultat du  «Nous allons devoir rendre une décision
            pression. Il faisait chaud», a ainsi contex-  de l’utiliser. Le président de l'audience a  geste, quand le policier jette ce pavé il ne  difficile et elle est déjà critiquée, vous le
            tualisé le policier.  Au moment de raconter  alors tenté de déterminer si le CRS aurait  peut pas ignorer que cela peut entraîner  savez, quoi que nous décidions. [...] Pour
            la scène en question, le CRS a expliqué que  pu trouver une solution plus adaptée à la  des blessures graves», a asséné le procu-  prendre le recul nécessaire sur ce dossier je
            son collègue venait de recevoir un pavé  situation que le jeté de pavé. Il a notam-  reur. Avant de poursuivre : «Est-ce que ce  mets notre décision en délibéré au 19 dé-
            dans l’omoplate. A ce moment-là, le CRS  ment demandé ce qui était enseigné lors  jet de pavé était absolument nécessaire  cembre.» Devant les caméras, l'avocat du
            aurait voulu relancer le pavé «dans une  de la formation des CRS dans ce genre de  pour permettre de maintenir à distance  CRS s'est félicité d’une réquisition relative-
            zone neutre pour être sûr de n'impacter  cas, ce à quoi le CRS a répondu qu’il n’avait  ceux qui veulent s’en prendre aux policiers  ment légère de la part du procureur. Mais
            personne».  Selon lui, «c'était un geste de  jamais connu pareille situation. Le capitaine  ?»              son enthousiasme n'a pas fait l'unanimité,
            repli», pour permettre à son collègue  qui avait été blessé au crâne a livré son té-  Le procureur a estimé en effet que «[ce jet  puisqu'il a été pris à partie par des soutiens
            blessé ainsi qu'à lui-même de se mettre à  moignage à la barre, expliquant que les po-  de pavé] n’est ni nécessaire, ni propor-  des Gilets jaunes.
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