Page 18 - L’aventure, l’ennui, le sérieux V. Jankélévitch
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hypnotisés par leur propre moi, par Leurs voyages, par Leur santé, [...] par Leurs précieuses tripes 1 . » C’est en 1924 que Jankélévitch rédige cette lettre. Il a vingt et un an. Sa vie durant, il invitera à se méfier de cette complaisance, et de l’aventu- risme d’esthète dont elle se pare, pour rappeler qu’il y a dans l’aventure véritable une grandeur de nature morale. Si elle ne sacrifie pas la dimension esthétique, cette dimension éthique est ce qui fait toute la valeur de l’aventure, qui n’est pas une aventure en solitaire. Jankélévitch n’a pas de mots assez durs pour railler la « philautie » de l’aventu- rier, c’est-à-dire l’amour (philos, en grec) propre (autos) de l’homme en mal de sensations fortes, du touriste en mal d’exotisme ou encore du colon aux bonnes intentions (évangéliques ou civilisa-
trices), dont l’enfer est pavé.
De l’aventure fantasmée par les touristes et les
aventuriers du dimanche, il ne sera pas plus ques- tion ici que de l’aventure des professionnels du voyage, de ceux qui font de l’aventure un métier 2. Le ton ne sera donc ni celui de l’ode à l’aventure,
1. Vladimir Jankélévitch, Une vie en toutes lettres, Corres- pondance, Liana Levi, 1998, p. 104.
2. Dans une perspective d’histoire culturelle et d’histoire des représentations, on peut se reporter à Sylvain Venayre, La Gloire de l’aventure, Aubier, 2002. Voir par exemple les p. 151-154 sur « l’idiot du voyage » et les premières agences de voyages (1851).