Page 17 - L’aventure, l’ennui, le sérieux V. Jankélévitch
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L’AVENTURE – V. JANKÉLÉVITCH 17
et l’éthique. Ce qui explique également que notre auteur ne sacrifie pas aux complaisances atten- dues de l’éloge, où l’aventure rimerait nécessaire- ment avec voyage, onirisme, exotisme et bonheur.
Cette aventure fantasmée, et donc jamais vécue, est une contrefaçon du désir, une attitude typique- ment moderne qui dissimule mal le fond d’angoisse et de misère existentielle, sur laquelle elle étend son voile illusoire. Mais surtout, si c’est bel et bien la modernité qui consacre l’aventure comme ouverture à l’avenir, c’est en l’accompa- gnant du sacre de l’individu. Pour le meilleur, s’il s’agit d’égalité démocratique, mais aussi pour le pire, si l’individualisme dégénère en triomphe de Narcisse. C’était déjà d’une certaine façon le diag- nostic d’Alexis de Tocqueville (1805-1859) dans De la démocratie en Amérique (1835-1840). C’est aussi – dans un contexte spiritualiste sensiblement diffé- rent de l’analyse tocquevillienne, qui est historique et politique – ce que n’ont pas manqué de dénon- cer les philosophes français de la génération anté- rieure à celle de Jankélévitch1, qui, pour sa part, écrivait à son ami philosophe Louis Beauduc : « Comme ils sont odieux [...] ces gens qui sont
1. Voir par exemple Louis Lavelle (1883-1951), Le Moi et son destin, Aubier, 1936, mais surtout L’Erreur de Narcisse, Grasset, 1939. Jankélévitch a été séduit en particulier par le livre de Lavelle sur La Présence totale, Aubier, 1934.
 






























































































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