Page 15 - L’aventure, l’ennui, le sérieux V. Jankélévitch
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L’AVENTURE – V. JANKÉLÉVITCH 15
UNE PENSÉE EN DEVENIR : LA PENSÉE COMME AVENTURE
Cependant, pour Jankélévitch, la correspon- dance entre la vie et la pensée, et l’harmonie entre les filiations multiples, ne sont pas si évidentes qu’il y paraît. D’une part, la rupture entre l’héri- tage slave et l’identité occidentale a été consom- mée par l’émergence des deux blocs après la Seconde Guerre mondiale. D’autre part, la récon- ciliation entre le judaïsme et la République fran- çaise est rendue fort problématique après l’épisode de Vichy. Quelle que puisse être sa gran- deur d’âme, le philosophe éprouve de l’amertume après la révocation de son poste de professeur à la faculté des lettres de Lille en raison de son ascendance juive et après le pillage de son appar- tement familial. Lors de la saisie de sa biblio- thèque musicale, c’est une partie de lui-même qui lui a été retirée.
En 1963, au moment où il publie L’Aventure, l’Ennui, le Sérieux, il est habité par ce passé, et sa réflexion en porte témoignage : l’aventure permet certes de s’exhausser vers l’avenir, mais elle ne saurait le faire valablement en abandonnant le passé à l’oubli. Sans pour autant laisser le ressen- timent attaché au passé se putréfier, Jankélévitch est plus réservé que Nietzsche sur l’importance de l’oubli pour l’action future. Jankélévitch a retenu































































































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