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K comme ENNEMI
La tendance opposée − le désir d’effacer toute trace de Königsberg, königsbergchina − est le leitmotiv du deuxième discours, que partagent les premiers architectes soviétiques. La justification éthique et esthétique du « nettoyage », c’est-à-dire de la politique de l’oubli de l’histoire allemande dans la région, dicte les premiers choix urbains à Kaliningrad dans l’après-guerre. Toute manifestation de « l’allemand » est perçue comme élément étranger et hostile. Ainsi la vie nouvelle renonce au passé, commence à zéro.
Cette attitude destructrice à l’époque soviétique échappe en général à la documentation officielle. Les démolitions passées sous silence ne sont pas affichées, ni archivées. En cela le document de la collection personnelle d’Alexandre Panchenko (cahier 2 | 48) est très précieux et rare ; il démontre que la destruction de l’héritage allemand dans la région a été prescrite jusque dans les années 1970. Le fait que ce document qui ordonne la destruction de monuments soit signé par la directrice de musée est particulièrement éloquent.
Je n’ai réussi à trouver aucune trace d’ordres similaires dans les archives nationales de Kaliningrad. De la destruction du château royal de Königsberg, évènement décisif dans l’histoire de Kaliningrad d’après-guerre, il ne reste que quelques clichés réalisés par deux photographes indépendants. À l’époque, les journaux locaux n’en disent pas un mot, la télévision ne montre pas une image.
Curieusement, c’est le cinéma soviétique qui a produit malgré lui les meilleures preuves de la relation au patrimoine bâti. Dans les premières années de l’après-guerre les cinéastes se sont précipités dans la région de Kaliningrad pour tourner les films de guerre dans le décor naturel de l’Allemagne en ruines. Les cas de destructions réelles de bâtiments devant la caméra n’étaient pas rares (cahier 2 | 8-11, 13).
Cette démarche dévastatrice vis-à-vis du patrimoine allemand est toujours d’actualité bien que le vandalisme se fasse plus discret, on observe d’autres pratiques héritières de la haine initiale cultivée par la propagande soviétique, qui, pour se justifier, se dissimulent derrière les intérêts économiques, se font passer pour de la dégradation d’origine naturelle ou de la négligence. Néanmoins, l’absence de justification pratique des destructions et les méthodes implacables en disent l’essentiel : la destruction est en effet le but en soi. Le panorama d’une ville détestée, broyée au bulldozer et réduite à un terrain vague, est ici en effet, contrairement au discours précédent, une vision victorieuse. Terrain vague comme revanche.
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