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quelques années en une petite auberge rustique pour randonneurs. Je fus saisie au cœur par
               cette auberge, occupée par un couple de babas cool post soixante-huitards, qui exploitaient
               l’endroit  dépourvu  d'électricité,  au  confort  rudimentaire,  éclairé  à  la  seule  faible  lueur  de
               lampes à pétrole comme il avait dû l’être déjà à son époque originelle.
               Cette bâtisse archaïque fut un véritable coup de foudre pour moi, qui réalisai instantanément
               le  parti  que  je  pourrais  tirer  de  ce  lieu  rustique  et  plein  de  charme,  très  bien  situé  sur  la
               commune  de  Taninges,  point  stratégique  proche  des  Portes-du-Soleil,  immense  domaine
               skiable regroupant douze stations, partagé entre la France et la Suisse.
               Assise  sur  ma  moto,  moteur  coupé,  je  fixai  Fabien  droit  dans  les  yeux  et  lui  déclarai  très
               solennellement, subjuguée par la bâtisse : « Nous allons acheter cette maison ! »
               Surpris par mon élan, mon époux ne se montra pas, et de loin, débordant d’enthousiasme face
               à  cet  engouement  qu'il  trouvait  plutôt  farfelu.  Mais  comme  il  n'eut  pas  raison  de  mon
               emballement, notre retour sur les lieux ne tarda pas et me confirma que l'affaire en valait la
               peine.  Les  pourparlers  d'achat  avec  les  propriétaires  de  l'établissement  qui  voulaient  s'en
               débarrasser, peinant à y gagner leur vie, eurent lieu rapidement. L'exécution suivit de peu la
               décision  et,  pendant  l’été  1979,  dans  le  cadre  cérémonieux  d’une  étude  notariale,  un  acte
               d’achat aussi technique que détaillé fut signé. Ainsi, j’accédai à l'indépendance dont depuis
               quelques mois j’avais besoin pour m’épanouir complètement.
               Le refuge fut baptisé Le Loup blanc. L'établissement ouvrirait ses portes dès l’hiver. Avec ma
               fougue habituelle, je déployai toute ma sensibilité, mon imagination et mon énergie à entamer
               des travaux importants pour une aventure à laquelle je croyais résolument.
               La construction comportait deux étages. Au rez-de-chaussée, à l'entrée, un hall faisait office
               de vestiaire. Dans cette partie du bâtiment se trouvait également l’économat. Suivait la cuisine
               avec son immense fourneau à bois Godin chapeauté d’une hotte de cuivre. Le bar, intégré à la
               cuisine, conduisait à la salle à manger, pièce toute en longueur. A l'étage, une grande chambre
               et six petites, dont l’une faisait office de bureau.
               J’étais bien décidée à faire du Loup blanc un pôle d’attraction dont on parlerait. Jamais en
               panne  d’idées,  j’avais  conçu  et  installé,  à  l’arrière  du  bâtiment,  une  immense  volière  dans
               laquelle  à  la  belle  saison  évoluaient  majestueusement  un  couple  de  faisans,  un  paon
               prénommé  Léon  et  plusieurs  espèces  rares  de  poules  (dont  les  fameuses  Nègres-soie,
               originaires  d’Asie),  poules  qui  suscitaient  l’admiration  des  hôtes  et  faisaient  la  joie  des
               enfants. Avec un peu de chance, dès cinq heures du matin, on pouvait même observer un coq
               de  bruyère  aux  proportions  imposantes  et  au  sifflement  caractéristique  -  le  fameux  grand
               tétras - qui s’approchait de l'auberge à la lisière du bois. Je me souviens avec émerveillement
               de  ces  aurores  enchantées,  dans  la  fraîcheur  de  la  nature  matinale  encore  humide  et
               embrumée,  où,  assise  seule  à  l'orée  du  bois,  j’observais  cet  énigmatique,  majestueux  et
               imposant gallinacé.
               Au fil des mois, je réalisai un ensemble chaleureux et intime, qui donnait envie de s’attarder,
               de  converser  avec  des  amis,  paisiblement  installé  dans  ce  cadre  montagnard.  En  hiver,
               complètement recouverte de neige, l'auberge ressemblait à un gigantesque igloo. A l'entrée,
               des  flambeaux plantés  dans  la neige souhaitaient  la bienvenue aux visiteurs. L’effet  visuel
               produit  par  les  torches  en  feu  qui  faisaient  scintiller  les  monticules  de  neige  amassés  de
               chaque  côté  de  l’entrée  principale  de  l'auberge,  composait  un  spectacle  surprenant  qui  ne
               manquait ni de panache, ni de fantaisie, ni de mystère.
               Polyvalente par nécessité comme par vocation, je devais assurer le service et parfois même la
               cuisine,  virevoltant  avec  efficacité  autour  des  clients  subjugués  par  cette  mystérieuse
               personnalité à l'aspect théâtral, à la flamboyante chevelure rousse. Mon amie Renée-Claude,
               créature pittoresque mi-homme mi-femme, m’aidait à la plonge comme au service car  elle
               m’avait suivie, inspirée par son amour pourtant jamais abouti. Exubérantes et peu communes,



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