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Nue, à la merci d’un éclairage sans concessions, l’image que me renvoya ce soir-là le grand
miroir qui me faisait face me pétrifia. Je vis mon visage boursouflé et rougeaud, mon corps
devenu informe et avachi : je n’étais plus, et de loin, la très jolie femme que j’avais depuis si
longtemps voulu être et qui avait fait tourner tant de têtes. Je détaillai durant de longues
minutes, peut-être plus, cette femme, mon double, mon reflet que je ne reconnaissais plus.
Face à cette vision pitoyable, encore oppressée par ce que je venais de vivre, figée sur place,
j’eus l’impression d’être en bout de course. J’éclatai alors en sanglots. Puis, m’étant reprise, je
me rendis dans ma chambre, ouvris le tiroir de ma table de nuit et saisis l’arme qui s’y
trouvait, un Beretta 92 semi-automatique chargé que je gardais là, au cas où, tant j’avais
intégré l’exceptionnel et le danger comme composantes inhérentes à ma vie.
L’arme en main, je retournai à la salle de bain, devant mon grand miroir, et pointai le revolver
sur ma tempe tout en me regardant droit dans les yeux ; puis, Dieu sait pourquoi, ultime
courage ou dernière lâcheté, je renonçai à appuyer sur la gâchette.
Fin 1985, je pensais que cette fois j’avais vraiment et irrévocablement touché le fond.
Pourtant un beau matin, un déclic miraculeux et décisif toucha de plein fouet mon esprit. Je
pris une décision immédiate et sans appel, à laquelle j’allais, contrairement à tant d’autres, me
tenir : la dive bouteille serait désormais reléguée aux oubliettes ; la préservation de ma dignité
ne me laissait plus aucun autre choix. Ma vitalité, que j’avais crue avalée par le chagrin,
n’avait pas été complètement digérée, absorbée, liquéfiée : je sentis que je pouvais la
régurgiter malgré tout et me la réapproprier.
Quelques jours après l’agression à laquelle j’avais échappé de justesse, je me rendis dans la
salle de sport la plus proche de chez moi, bien décidée à suivre un programme intensif de
remise en forme. Et dans la foulée de mes bonnes intentions, je repris des cours de tennis,
sport que je n’avais plus pratiqué depuis belle lurette, tout aussi intenses que les
entraînements que je suivais en alternance au centre sportif fitness.
En 1986, régénérée, totalement revitalisée, je vécus une période émaillée de bonnes
intentions, d’espoirs et de joie de vivre. Encouragée par ma professeure de tennis, devenue
une amie intime, je m’inscrivis à la Fédération française de Tennis. Une fois licenciée,
j’acquis en leasing un superbe camping-car très confortable, à bord duquel, avec mon amie, je
parcourus de long en large la Suisse, la France et l’Espagne, m’inscrivant à des tournois,
amateurs pour moi, professionnels pour mon amie. Ces déplacements, accomplis avec entrain,
légèreté et une hygiène de vie à laquelle je goûtais délicieusement, déployèrent des effets on
ne peut plus bénéfiques. Sincèrement, je croyais pouvoir me défaire des stigmates de mon
lourd passé, à jamais inscrit dans ma chair et mon âme. Cette année-là, je crus laisser pour
toujours le pire derrière moi.
Chapitre 20
Perdre sa mère
« Pensez constamment à la mort mais ne la redoutez pas, elle n’effraye que le coupable.
Elle n’arrive qu’une fois et se fait sentir à tous les instants de la vie, il est plus dur de
l’appréhender que de la souffrir. L’inquiétude, la crainte, l’abattement ne peuvent l’éloigner,
car au contraire ils peuvent la hâter. La mort est de tous les maux le seul dont la présence
n’ait jamais incommodé personne et qui ne chagrine les humains qu’en son absence. »
Jean de La Bruyère
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