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Universitaires de Genève » où elle avait été hospitalisée à plusieurs reprises, souvent en
urgence, baissèrent les bras, ne pouvant plus rien pour elle.
Elle se mit alors à remuer ciel et terre en dehors de tout contrôle, de tout protocole, pour
dénicher de pseudo-médecins privés qui poursuivaient à sa demande de vraies ou fausses
chimiothérapies et d’autres traitements inconnus, cela évidemment sur ses propres deniers.
Enfin, les indicibles souffrances provoquées par cette inexorable descente aux enfers,
Grisélidis les cristallisa, les exorcisa d’une écriture crue, symbolique et douloureuse, dans un
recueil de poèmes, « A feu et à sang », recueil qu’elle me dédicaça :
A Diane Peggy.
Mon Garde du cœur
A contre-Corps
Genève le 27 Septembre 2003 Grisélidis Réal.
Ni la maladie, ni la mort, ni le mépris, ni la bassesse misérable de ceux et celles qui nous
jugent ne nous détourneront de nos noyaux les plus précieux, enfouis en nous sous tellement
de souffrances : nos rages, nos espoirs, notre amour fou de la vie, des rêves, et de nos révoltes
foudroyées.
« Douleurs inéluctables
Féroces, triomphales
Au venin de crotales
Aux dents de requins blêmes
Nagez, et percez-moi
De vos aiguillons noires
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Buvez mon sang épars. »
Extrait du poème : CHIMIOTHERAPIE Genève le 28 juillet 2003
Tant qu’elle put encore se déplacer, Grisélidis arrivait chez moi à toute heure du jour et de la
nuit, souvent en toute fin de matinée au saut du lit, alors que j’émergeais laborieusement de
mes nuits fréquemment agitées, n’ayant jamais été de toute ma vie une lève-tôt. La relation
que nous avions à ce moment-là, de jour en jour plus proche de la fin, en créatures de feu que
nous étions, créa une des atmosphères sans doute les plus pesantes et angoissantes pour moi,
les plus difficiles à décrire, défiant toutes les catégories imaginables. Notre fascination
réciproque, cet amour – haine, ces partages d’une sensibilité commune alimentés par des
goûts différents, cet amour fou mais non sexualisé et pourtant d’une redoutable intensité, c’est
tout ce que je puis dire de cet indestructible attachement : nous savions sans nous l’avouer
qu’il allait être rompu par l’inéluctable et que, pour la première fois, nous ne maîtrisions plus
rien.
A mesure que l’état de Grisélidis empirait, ce face-à-face s’enrichissait, s’ancrait davantage
dans nos cœurs. Lorsque nos épanchements réciproques nous mettaient en froid, ce qui arriva
quelquefois, à l’heure où je sortais promener ma petite chienne, je voyais Grisélidis se glisser
subrepticement comme une ombre silencieuse, à quelque distance, attentive, guettant chacun
de mes gestes, n’attendant qu’un signe pour s’approcher. Hiératique mais le cœur gros, je
passais mon chemin comme si je n’avais rien vu. Pendant ces pesantes périodes,
machinalement, chacune hantait les pensées de l’autre.
Après un différend qui dura quelques jours, je rappelai Grisélidis que j’entendis, à l’autre bout
du fil, fondre en larmes, heureuse que je la recontacte.
REAL G ; A feu et à sang (Recueil de poèmes écrits entre mai 2002 et août 2003) Genève 2003,
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« Chimiothérapie » p. 25.
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