Page 9 - Livre souvenir 2019
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Vieille conne
Tous les matins, je regarde mon visage. Mes joues qui
commencent à s’affaisser. Mes lèvres de plus en plus
pincées. De légères rigoles qui se dessinent sur le haut de
mon visage. Tous les matins, je prends mon peigne à
grosses dents et le glisse dans mes cheveux tandis que je
me perds dans ces rigoles. Le peigne pousse mes souvenirs
vers les pointes de mes cheveux et je me sors de ma
torpeur. Heureusement que ce n'est pas si dur, tous les
matins. Mais aujourd'hui, si. Je me prépare plus
énergiquement, pour ne pas imaginer autre chose que ce
jour. Je suis attendue. D'habitude, j'aime mon métier, je
l'exerce avec passion. Je dirais même que je suis plutôt
douée. J'aime aider les gens, les conseiller. Et, pour
quelques-uns, je dévoile mon Art. Je me laisse une liberté
totale et c'est le moment que je préfère, voir
l’émerveillement dans le regard de mes clients.
Mais pas pour celle de ce matin.
Je dois y aller. Le bus n'est pas loin. Il traverse la ville
de part en part, et permet de voir ses différentes facettes.
J'aime aller au travail en bus, regarder les gens qui, plus ou
moins réveillés, vont dans la même direction que moi. Il y
a des personnes que je vois tous les jours, dans le même
bus de 8h47. J'esquisse même un sourire aux plus fidèles,
comme si nous faisions partie d'une même confrérie
secrète. Et puis il y a les autres, les passants, les
occasionnels, que je ne revois jamais.
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