Page 33 - L'INFIRMIERE LIBERALE MAGAZINE - EXTRAITS RELOOKAGE
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                Le visage recouvert d’un foulard, des jeunes gens lancent des explosifs maison en direction d’un mur de policiers en position ser- rée. Dans un théâtre parisien, un serveur est applaudi par les étu- diants qui l’entourent : il vient de raconter comment ses journées de travail l’épuisent, comment il lui est impossible, le soir, de passer à autre chose, comme s’instruire ou repenser le monde. Ces deux images illustrent le mouvement de Mai 1968. Colère d’une géné- ration, violence et volonté de changer les fondements d’une société. Une révolution, en quelque sorte.
Le mouvement infirmier de 1988 peut être considéré comme
un héritier, au moins indirect, de Mai 68
assemblées générales se succè- dent. Catherine Fayet a 11 ans et ne sait pas encore qu’elle devien- dra infirmière. Elle est en classe de sixième, à Nîmes : « Je me souviens de mon admiration pour les  “grandes”,  de  troisième, seconde ou terminale, qui s’im- posaient, s’asseyaient sur les bureaux  et  prenaient  la  parole. Elles avaient enlevé la blouse que nous étions obligées de porter. J’écoutais tout ce qui se disait. Nous avions un professeur d’his- toire très engagé qui organisait des débats avec les lycéens. »
Fractures, traumatismes, amputations
Quand le préfet de police de Paris envoie des policiers déloger les étudiants qui refaisaient le monde à la Sorbonne, les combats de rue éclatent. Les équipements urbains sont démontés pour devenir des armes. Les fameux pavés de mai commencent à voler. Une série de nuits de combats émaille le printemps 1968. Les forces de l’or- dre deviennent vite pour les étu- diants l’ennemi sur lequel focaliser leur rage. Ces policiers casqués, surarmés, sont le symbole du sys- tème qu’ils veulent mettre à terre. Eux sont en guerre contre les pères. Les pères dont la conduite n’a pas été irréprochable pendant la Seconde Guerre mondiale. Les pères qui se sont concentrés sur leur travail et la reconstruction du pays. Les pères qui ont fermé tous les horizons. Le président de la République, ancien héros de cette guerre, ne saisit pas ce qui se passe chez la jeunesse de son pays. Friand de traits d’esprit, le général de Gaulle dit oui à la réforme mais non à « la chienlit », ou assène que « la récréation est terminée »,  ce qui renforce son image de père symbolique auto- ritaire et inflexible.
Les policiers sont de plus en plus sous tension. Les étudiants sont
dossier
agiles, esquivent les coups et apprennent vite les rudiments des combats de rue. Mortifiés par le slogan “CRS SS”, les policiers ne se sentent pas entièrement sou- tenus par le chef du gouverne- ment, qui demande la réouverture de la Sorbonne quelques jours après son évacuation. Les coups de pied, poing ou matraque, sur- tout quand ils sont gratuits ou lourdement portés, attisent la colère des manifestants. Des per- sonnes non impliquées dans le mouvement sont également prises à partie. Mai 68 fait plu- sieurs morts. Le nombre de bles- sés graves, difficile à estimer, serait de plusieurs centaines. Les blessés légers affluent dans les hôpitaux, comme en témoigne Madeleine Burtin (1), qui travaillait à l’hôpital Cochin, à Paris, en trau- matologie : « Le deuxième étage a été complètement vidé pour accueillir  les  blessés :  des  frac- tures, des traumatismes crâniens, des  amputations.  Ils  arrivaient avec des vêtements imprégnés de gaz lacrymogène, ce qui nous faisait pleurer. Ils avaient mis le drapeau rouge à l’étage. La plu- part n’avaient pas donné leur nom, ils étaient inscrits “sous X” [...], c’était l’enfer. »
Les infirmières sont plus ou moins
en empathie avec la jeunesse qui
se bat dans la rue. De manière générale, celles qui sont plus âgées ne se sentent pas concer-
nées par ce qui leur apparaît avant >>>
      (1) Citée dans l’ouvrage de Vincent Rousset et Yvette Spadoni, Des femmes, des hommes, un hôpital, le personnel de l’AP-HP témoigne, Paris, Doin éditeurs, 1999.
Cette année-là, la France n’est pas la seule à vivre au rythme des occupations d’universités, des manifestations, des dé- brayages et des interventions télévisées du chef de l’État ou de son Premier ministre. Au Japon, en Allemagne, aux États-Unis, au Mexique, la jeunesse, en colère, remet en question les guerres de décolonisation, la société de consommation et l’éducation tra- ditionnelle. En France, le mouve- ment commence à l’université de Nanterre, se poursuit à la Sor- bonne et se diffuse dans l’en- semble des établissements sco- laires du pays. Les étudiantes des écoles infirmières participent au mouvement de contestation. Les cours sont suspendus et les
L’infirmière libérale magazine • n° 347 • Mai 2018 29



















































































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