Page 36 - L'INFIRMIERE LIBERALE MAGAZINE - EXTRAITS RELOOKAGE
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                dossier
   Se replonger
nécessité –  de  pouvoir  dire  les maux dont elles souffrent. »
Le mouvement féministe, qui avait timidement commencé à se faire entendre en Mai 68, prend de l’ampleur dans les années 1970. Les professionnelles du domaine de la santé et du social y prennent une part importante, aux côtés des enseignantes. Dans les syn- dicats, des “cellules de femmes” sont créées. Il s’agit d’aborder les problématiques professionnelles propres aux femmes, mais aussi les difficultés qu’elles peuvent rencontrer dans leur vie privée. Le Mouvement de libération des femmes et le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception sont créés au début des années 1970. Les femmes obtiennent des avancées significatives dans leur liberté à disposer de leur corps : rembour- sement de la pilule contraceptive par la Sécurité sociale, légalisation de l’avortement.
Vingt ans après,
la révolte infirmière
« Du côté des infirmières, on n’a pas tellement bougé [en 1968], estime, pour sa part, Jacqueline Corvest, formatrice en soins et techniques hospitalières. Nous ne nous sentions pas vraiment concernées et, au travail, il régnait une  grande  complicité  dans  les équipes. Celles qui ont le plus évolué après 1968, ce sont, je pense, les aides- soignantes, les assistantes. Les infirmières avaient déjà la reconnaissance de leur diplôme. » En revanche, vingt ans plus tard, la profession infirmière se mobilise, 100 000 blouses blanches descendant dans la rue (selon la police, 400 000 selon les organisateurs). Ce mouvement de 1988, déclenché par la remise en cause des qualifications des IDE par un décret (prévoyant d’abaisser les exigences de niveau d’études pour entrer en école
d’infirmières), peut être considéré comme un héritier, au moins indi- rect, de Mai 68. « En 1988, la prin- cipale revendication des infir- mières, c’était de sortir de l’image vocationnelle attachée à leur métier.  L’expression “un  boulot comme  un  autre”  revenait  tout le temps dans leurs propos, ana- lyse Danièle Kergoat, spécialiste du travail et du genre. Cela n’aurait probablement  pas  été  possible sans Mai 68 et le développement du  mouvement  féministe  en France,  à  partir  des  années 1960. »
Une grande partie des profes- sionnels qui se sont impliqués dans la création de la Coordination infirmière ont forgé leur expé- rience militante lors de l’impor- tante révolte lycéenne de 1973 ( 3). C’est le cas de Catherine Fayet, porte-parole du mouvement pour la région Rhône-Alpes. Sa colère face au décret se mue en enga- gement : « Syndiquées, non syn- diquées,  salariées  ou  l ibérales, toutes  les  infirmières  se  sont  senties  concernées.  On  a  senti que l’on appartenait à la commu- nauté infirmière, nous avons res- senti cette espèce de mépris du gouvernement. » Un gouverne- ment qui refuse de reconnaître la Coordination infirmière et s’adresse uniquement aux syn- dicats, quand vient l’heure des négociations. Le rapport de force dans la rue est décisif pour se faire entendre : « Lors  de  la grande manifestation d’octobre, le cortège, au lieu de s’arrêter au ministère de la Santé, a continué à  s’avancer  jusqu’aux  Invalides. Le  gouvernement  nous  a  reçus à trois heures du matin », se sou- vient Catherine Fayet. Ce mou- vement élabore ses revendica- tions en faisant remonter les propositions de la base et est majoritairement féminin. Ce qui explique probablement le rapport de force également engagé avec
  dans Mai 68
 En images
> Milou en mai, de Louis Malle, 1990
Le film relate avec humour et fantaisie les péripéties d’une famille conservatrice, touchée malgré elle par Mai 68, dans une France marchant au ralenti.
> La Chinoise, de Jean-Luc Godard, 1967
Les outrances d’un groupe de jeunes maoïstes vues par une caméra moqueuse.
> « Génération », 1988
Série documentaire adaptée de l’ouvrage éponyme de Patrick Rotman et Hervé Hamon.
En chansons
> The Times They are a-Changin’, Bob Dylan,
1964.
> The Unknown Soldier, The Doors, 1968. Les enfants envoyés à la guerre et morts à peine nés.
En textes
> Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, de Raoul Vaneigem, Éditions Gallimard, 1967. Ce livre inspirera beaucoup
de graffitis de Mai 68.
> 1968. De grands soirs en petits matins, de Ludivine Bantigny, UH Seuil, 2018.
> Changer le monde, changer sa vie. Enquête sur les militantes et militants autour de 1968 en France, sous la direction d’Olivier Fillieule, Sophie Béroud, Camille Masclet, Isabelle Sommier, Actes Sud, 2018. L’ouvrage présente par exemple le témoignage d’une infirmière frappée, à Lyon, à la fin des années 1950, par les relations hiérarchiques entre professeurs de médecine, internes et infirmières (encore religieuses en majorité). Le métier de médecin, lui, était perçu comme « conservateur ». Ainsi, à Nantes ou à Rennes, la profession était
« dominée, notamment à l’hôpital, par des médecins catholiques rétifs à l’avortement ».
> Mai 2018. Dernier inventaire avant révolution. « On ne peut plus dormir tranquille une fois qu’on a ouvert les yeux. » C’était l’esprit de Mai 68, qu’en reste-t-il aujourd’hui ? C’est
la question que pose cet élégant ouvrage,
en textes, photos, dessins. Collectif, les Cahiers de l’asphalte, 2018.
>>> époque, « les  soignantes  déve- loppent un discours sur la respon- sabilité du patient, son statut de personne, en accord avec une cri- tique  formulée  alors  contre  une médecine mandarinale, retracent les auteurs de Changer le monde, changer sa vie (voir ci-dessus). La réflexion est ici redoublée d’enjeux féministes touchant au corps des femmes  et  à  la  difficulté  – à  la
32 L’infirmière libérale magazine • n° 347 • Mai 2018



































































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